Hiroki Nakamura et Visvim : « Japanese Americana »

Avec ce premier article consacré au designer japonais Hiroki Nakamura et à sa marque iconique, Visvim, nous inaugurons aujourd’hui un nouveau format sur le média qui devrait nous permettre d’aller modestement « un peu plus loin ». Quelque chose qui se situerait entre le « zoom » et le dossier plus classique. Une série pour en apprendre plus sur la mode en prenant comme point de départ le designer, et non plus le label ou le produit fini. Et si nous allons évidemment évoquer des choses concrètes et parler marques, pièces et chiffres, l’objectif premier est d’arriver à comprendre une « intention ». D’interpréter ce que nous dit le parcours et le travail d’un créateur des obsessions de son temps, de ses influences, de la mode en tant que fait culturel, social et économique.

visvim hiroki nakamura
Portrait d’Hiroki Nakamura par Keisuki Fukamizu
ft.com

Toute vision créative se comprend à l’aune d’une période donnée. Un designer n’est pas tellement différent d’un peintre, d’un écrivain ou d’un musicien. Il est en ce sens toujours le produit de son époque, de paramètres externes qui dépassent sa seule individualité. Et s’attaquer à Hiroki Nakamura, c’est un gros programme ! Car c’est d’abord parler du Japon. Il serait bien difficile de séparer les deux histoires. Il me semble que la vie et l’oeuvre du designer ne peuvent être comprises qu’à la lumière des mouvements économiques et culturels du XXème siècle qui modifient considérablement le rapport des japonais à la mode.

Hiroki Nakamura, un designer japonais au temps du vintage americana

Pour bien aborder la démarche créative d’Hiroki Nakamura et par extension la « philosophie » qui fonde Visvim, il nous faut donc commencer par un bref retour en arrière. Pas seulement en partant de l’enfance et de l’adolescence du designer, car ne nous sommes pas là pour extrapoler à partir de tel ou tel élément biographique. Mais aussi et surtout des tendances qui ont façonné la mode contemporaine au Japon. Bon, le but n’est pas non plus de dispenser un cours d’histoire. Pour creuser le sujet, je conseillerais de commencer par cet article. Il est question de la « Restoration de Meiji » (1868) et de la constitution progressive d’un empire qui s’ouvre au reste du monde.

ginza modern boy japan americana
Photo prise dans le quartier de ginza pendant les années 30 au Japon. Looks « Modern girl » et « Modern boy » qui annonçent la future occidentalisation de la mode japonaise. Oldtokyo.com

Un enfant du Japon des années 70

Revenons à ce qui nous intéresse dans l’immédiat. Hiroki Nakamura, né en 1974 à Kōfu (Yamanashi), fait partie d’une génération particulière. Celle qui arrive après la seconde guerre mondiale, l’occupation américaine et la découverte des fringues étrangères en surplus. Une génération qui fait suite au choc « Take Ivy » (1965). Des photos prises dans les campus universitaires américains par les héritiers de Kenzuke Ishizu, fondateur de Van Jacket et précurseur dans l’importation d’une certaine idée du style Ivy league au Japon.

amazon.co.jp

L’ametora au temps de la bulle économique

Une génération qui connait également le boum de l’industrie du denim. Avec des marques comme Big John et les « Osaka Five » qui se chargent de reproduire, au défaut près, les modèles vintage iconiques de Levi’s, Lee et Wrangler. Hiroki Nakamura nait à une période d’effervescence marquée par une croissance économique spectaculaire, alors que le chemin a déjà été tracé. À un moment qui précède la maturation du marché du vêtement japonais qui s’éloignera ensuite de ses modèles pour acquérir son autonomie et un rayonnement international.

ametora david w marx
Si tu veux en savoir plus sur cette période, je t’invite évidemment à lire « Ametora » de W. David Marx si ce n’est pas encore fait. cadot.fr

Je pense qu’on peut facilement dire qu’Hiroki est le fruit de son époque. Enfant, il grandit à Tokyo et voyage très régulièrement à l‘étranger avec ses parents. Ces derniers le poussent plus tard à aller étudier aux États-Unis, en Alaska, où il profite de son temps libre pour exercer des activités de plein-air et faire la rencontre de nombreux peuples indigènes (et de leurs mocassins). Le futur designer de Visvim baigne dans cet esprit d’ouverture dès son plus jeune âge. Sa curiosité et son appétence pour tout ce qui relève de la culture étrangère sont ainsi typiquement « japonaises ».

burton snowboard hiroki nakamura
Ironiquement, Hiroki se découvre une passion pour le design par la pratique du sport en Alaska. Il est embauché par Burton Snowboards à son retour au Japon
boardvault.net

Hiroki Nakamura et la culture du catalogage

Hiroki Nakamura est donc très loin de l’image que l’on pourrait se faire du designer anticonformiste ou même en décalage avec ses contemporains. C’est d’abord quelqu’un qui se passionne finalement pour les mêmes choses que bien d’autres à son époque. Des intérêts qui se traduisent dans sa jeunesse par une collection de bottes workwear Red Wings et de vieux jeans importés. La collectionnite d’Hiroki rejoint en un sens cette tendance assez étonnante du « catalogage », un trait culturel caractéristique de la mode japonaise.

made in usa catalog 1975
thebookmerchantjenkins.com

L’« ailleurs » fantasmé

Je pense forcément aux magazines qui se démultiplient dans la seconde moitié du XXème siècle, tel que le « Made in USA catalog » (même équipe qui publie Popeye) qui tente de définir en 1975 le « mode de vie américain » par l’inventaire. Et quand collection et catalogage se rejoignent, on obtient finalement de l’archivage ! Rien d’étonnant donc à ce que le magazine Lightning (1994) lance une série d’ouvrages destinés à retracer l’histoire de certaines pièces emblématiques comme la veste en denim ou le sweatshirt… Ce qu’on doit comprendre avec tout ça, c’est qu’Hiroki Nakamura nait dans un Japon de l’après-guerre entièrement tourné vers l’extérieur.

lightning magazine japan clutch canoe club
Shopcanoeclub.com

Mais également que cette obsession se fonde sur le fantasme et la compréhension parcellaire de ce que sont vraiment l’Amérique et l’Occident. Comme ceux de sa génération, Hiroki Nakamura ne tombe pas amoureux des États-Unis. Il se fascine par l’idée qu’il s’en fait à partir de bribes d’americana et des voyages qu’il entreprend. Des styles de vie (et vestimentaires) qui n’existent souvent que dans les décors d’Hollywood et les catalogues. Paradoxalement, c’est cette même appropriation d’un imaginaire et d’une culture idéalisée qui va permettre plus tard l’émergence d’un style distinctement japonais.

visvim hiroki nakamura printemps été 2017
Visvim printemps-été 2017
visvim.tv

Plus loin que la copie et l’hommage : La naissance de l’americana à la japonaise

Car cette période d’ouverture « vers l’ailleurs » est un moment charnière qui va voir le développement d’une industrie plus créative. L’assimilation du prétendu « style américain », comprendre le workwear et l’ivy league de l’élite universitaire, ne va pas s’arrêter à la simple émulation des premiers temps. Les années 80 et 90 donneront naissance à de nombreux acteurs importants de la mode japonaise contemporaine. Pour n’en citer que quelques-uns : Toshikiyo Hirata crée Kapital en 1984. Hitoshi Tsujimoto se lance en 1990 avec The Real McCoys. Ou encore Yuki Matsuda qui fonde Yuketen en 1989 et Monitaly en 1995 après avoir notamment travaillé en tant qu’exportateur aux USA.

kapital japan americana
Kapital est surement la marque japonaise la plus inspirée par l’americana et la contre-culture hippie des années 70
nssmag.com

Nombre de designers japonais des ces années fastes partagent une obsession commune pour les États-Unis et le vintage americana. Beaucoup ont commencé par le business de la seconde-main. D’autres travaillaient dans la reproduction made in Japan de pièces qu’ils admiraient et collectionnaient. Puis certains se sont lancés avec de nouvelles idées en tête. À la suite de ses études en Alaska et après avoir passé huit ans chez la division japonaise de Burton Snowboards à concevoir des fringues haute performance, Hiroki Nakamura suit le mouvement et créée sa marque en 2001.

Visvim ou le rêve du « Future Vintage ». La recette de l’authenticité

Visvim voit ainsi le jour dans cette mouvance « Japanese Americana », au moment où les choses prennent une tournure inattendue. La montée en puissance d’une industrie qui exporte maintenant ses vêtements inspirés d’une Amérique fantasmée aux américains eux-mêmes !

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Hiroki Nakamura et sa femme Kelsi sur la route. Et une voiture de collection américaine, évidemment. heddels.com

Mais concrètement, qu’est-ce qui fait de Visvim une marque si spéciale ?

Imaginer le vintage de demain

Après tout, nous venons de voir qu’Hiroki Nakamura est arrivé à la suite de nombreux autres designers talentueux. Qu’il n’était pas non plus si éloigné du japonais moyen s’intéressant à la sape à son époque. Le trait est évidemment un peu forcé… On ne peut pas enlever à Nakamura un certain « génie », ou plutôt une « vision ». Et il me semble que la vérité et la singularité de Visvim peuvent justement se comprendre à la lecture des nombreuses interviews données par le designer. Qu’il suffit simplement de l’écouter parler avec passion et honnêteté de son travail. D’entendre sa radicalité qu’il insuffle dans tout ce qu’il entreprend. Cette recherche quasi obsessionnelle de ce qu’Hiroki nommera lui-même le « future vintage ».

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Concept « F.I.L Indigo Camping Trailer ». Une expérience d’achat hors du temps, avec des fringues neuves qui se veulent déjà un peu vintage
visvim.tv

Les standards du passé, une vision pour l’avenir

Chercher à créer le vintage du futur, voilà une ambition qui pourrait bien expliquer en partie le véritable culte voué à Visvim aujourd’hui. En quelques mots, je dirais que la « philosophie » du future vintage c’est d’abord de reconnaitre les standards de qualité du passé comme « supérieurs » aux nôtres. Et ensuite, d’une manière assez anachronique, d’essayer de les atteindre à nouveau à une époque où la vitesse et l’efficacité sont reines. Enfin et surtout, c’est de proposer une nouvelle vision qui se détache absolument de la simple référence ou de la reproduction. Toute la substance de Visvim semble se trouver dans cette « quête ».

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Paire du haut : prototype de la « FBT ». En bas : Gila moc lo Shaman Coyote-Folk. Dissertation sur le mocassin à lire ici

Un meilleur produit dépérit mieux

Quand il lance sa marque avec l’iconique « FBT », forme de mocassin traditionnel amérindien montée sur une semelle de sneakers contemporaine, il n’a alors qu’une seule idée en tête : améliorer son produit. Le succès rencontré avec ce premier essai va permettre au designer de multiplier les itérations. Une recherche de la « performance », apprise et menée au sein de Burton Snowboards, qui éloigne d’emblée le projet de considérations éphémères et superficielles. Et peu importe si l’on parle d’une veste en cuir ou de simples chaussures en toile. Tout doit subsister et « bien vieillir », dépérir avec beauté. Chaque pièce doit pouvoir aspirer un jour à être qualifiée de «vintage ».

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Une paire de « Grizzly » bien portée
unionlosangeles.com

Voyager, cataloguer, disserter

Dès 2005, Hiroki Nakamura conçoit le futur vestiaire Visvim. Les premières années précisent un canon esthétique singulier. Du streetwear épuré, de l’artisanat et de la technicité, et évidemment, une grosse influence americana. Les sneakers sont rapidement accompagnées d’une ligne de denim (« Fluxus ») et de pièces d’inspiration military (notamment la « Bickle », une m-65 retravaillée). Des fringues solides par excellence. Les gammes s’agrandissent avec des pièces classiques du vestiaire masculin : chinos coupés courts, hoodies, chemises OCBD. Du street casual à la japonaise sans prétention, avant l’introduction de l’éphémère « G-line » en 2008 qui va pousser les curseurs plus loin. Notamment du motif camouflage et des vestes en Gore-tex péniblement teintes à la main.

visvim hiroki nakamura g-line gore tex camo coach jacket
G-Line « Duck camo coach jacket »
duck camo coach jacket g-line gore tex
stylisticsjapan.com

Dépasser la hype

En parallèle de cette évolution street qui capitalise sur le succès de la FBT et enchaine les collaborations (Comme des Garçons, Supreme…), Hiroki Nakamura lance la ligne « FOLK » après un voyage en Laponie. Une gamme de chaussures à la construction minimaliste et artisanale inspirée du savoir-faire de la tribu indigène des Samis. Il se joue ici une certaine ambivalence. Une dichotomie qui sera finalement dépassée à la fin des années 2000, alors que la marque gagne en maturité et s’éloigne d’une clientèle qui se montrait souvent plus intéressée par la hype que par l’artisanat. Hiroki Nakamura aborde les années 2010 en embrassant totalement le concept du « future vintage », trouvant ainsi dans sa marque le véritable moyen de vivre et de concrétiser les obsessions de sa jeunesse.

visvim hiroki nakamura indigo naturel teinture dissertation
lyfstyl.ca

Collectionner les savoir-faire

L’adolescent curieux qui collectionnait les jeans Levi’s « Big E » délaisse le produit pour le secret de fabrication. Une très bonne excuse pour parcourir le monde, partir avec cinq valises vides au Népal comme en France et revenir les poches pleines de savoir-faire. Et ce qui est très intéressant avec le label, c’est que la démarche d’Hiroki n’est pas celle d’un homme qui garderait jalousement ses trouvailles pour lui. Collection, catalogage et archivage restent les maîtres mots. À la suite de ses voyages, le designer partage par le biais de ses fameuses « dissertations », publiées sur le site de la marque, des explications détaillées de techniques artisanales méconnues et parfois ancestrales. Certes, c’est du marketing. Mais comme toujours avec Visvim, c’est aussi beaucoup de passion.

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« Katazurizome dye », l’une des techniques à retrouver dans les dissertations. hypebeast.com

Ressentir. La paradoxale quête de l’authenticité

Pour en conclure sur la « philosophie » ou plutôt l’intention créative sous-jacente aux projets d’Hiroki Nakamura, on pourrait dire qu’il y a ce quelque chose qui relève d’une forme de « rétro-ingénierie » appliquée aux vêtements. Ou plutôt aux effets produits par ces mêmes-vêtements. Pour parler plus simplement, il semble que la quête du designer tient entièrement dans cette tentative de compréhension a posteriori de la « force », de l’ « esprit » ou encore de « l’âme » qui se dégagent de certaines pièces du passé. Ce que nous pourrions appeler communément « l’authenticité ». Mais comment peut-on définir une notion aussi subjective ?

Une petite vidéo (très bien filmée) qui peut t’aider à mieux cerner le personnage…

Hiroki Nakamura et l' »honnêteté » des choses bien faites

Le designer utilise très régulièrement le mot « honneteté » pour décrire ces vêtements qui, patinés et usés par le temps, ont acquis une « puissance », ou peut-être même une « présence ». Et si je veux vraiment éviter les clichés sur le japon et les concepts utilisés à tort et à travers, c’est bien de « wabi sabi  » dont on parle là. Il rejette la modernité pour ce qu’elle produit de « trop parfait », de « plat ». Comme une teinture bleue qui serait trop bleue, uniforme et sans défauts. Se tourner vers le passé, les techniques artisanales et les teintures naturelles n’est donc pas uniquement un choix rationnel qui garantit une « meilleure qualité » à ses vêtements. C’est seulement le moyen pour le designer d’approcher cette « force » qu’il ressent dans les belles pièces vintage, où plutôt de donner une chance à ses créations de vivre un destin aussi glorieux. Qu’elles soient elles-aussi un jour testamentaires d’un temps perdu.

  • visvim hiroki nakamura mud dye
  • visvim doro zome jacket

Old Visvim never dies

«Old Visvim never dies », cri de ralliement connu de tous ceux qui arrivent à se payer du Visvim, est un manifeste qui sonne comme une prophétie auto-réalisatrice. À l’époque où ces mots ont été prononcés, Visvim avait à peine 15 ans d’existence. C’est tout le paradoxe de cette quête d’authenticité. Il est encore difficile aujourd’hui d’en mesurer les effets. Une seule chose est certaine, Hiroki Nakamura est un homme qui approche le processus créatif d’une manière honnête et personnelle. Sans concessions. Ce qui rend Visvim si spécial, c’est bien la vision inaltérable de son créateur. L’insolente liberté d’un homme qui fait voyager deux fois son tricot entre le Japon et la France pour avoir le bon point de crochet. Qui enterre des chaussures neuves en cuir de kangourou albinos pendant trois mois pour les rendre « imparfaites » avant de les vendre. Et bien sûr, sans jamais trop se soucier du prix final.

Visvim : passé, présent, futur

Je veux adopter un ton plus léger pour conclure ce dossier. Finir avec du concret et délaisser un temps les belles phrases et les grands idéaux. Il ne faudrait pas trop non plus se laisser endormir par la « mythologie Visvim ». Car c’est bien ça qui est vendu au consommateur, une part de mythe à porter sur soi. L’aventure, la découverte du savoir-faire détenu par l’ancien d’un village au fin fond de la campagne d’un pays inhabité. Le savoir-faire japonais, l’attention au détail. Sans parler du rêve américain qui passe par un nouvel intermédiaire avant d’arriver jusqu’a nous.

visvim 2012
Je ne l’ai pas précisé, mais Visvim était une marque très slim (2012)
visvim hiroki nakamura 2022
Les silhouettes ont vraiment gagnées en ampleur. Une évolution très bienvenue (2022)

Je te propose alors dans ce (rapide) tour d’horizon de la marque une séance de désintoxication. De célébrer Visvim pour ce qu’elle représente et ce qu’elle continue d’apporter, sans pour autant mettre sous le tapis ce qui peut être un peu plus discutable.

Les pièces emblématiques de Visvim : la quintessence du vestiaire « Japanese americana »

Mais avant de parler marketing, j’aimerais montrer davantage des pièces emblématiques de la marque. Plonger dans son vestiaire et se retrouver dans un imaginaire qui mêle avec beaucoup de cohérence hommage au passé, Amérique fantasmée et réinterprétations de vêtements traditionnels japonais. Cette concrétisation de l’idée abstraite de ce qu’est le « japanese americana » et qui fait de Visvim l’une des marques les plus emblématiques et représentatives de ce mouvement.

visvim fbt piti uomo
Et si jamais ce style te parle, je te conseille cet article de Grailed qui liste tous les essentiels

Et pour cette partie, je promets (presque) plus d’images que de mots !

Le footwear

On commence naturellement avec les sneakers et souliers. Pas seulement la « FBT » qui a propulsé la marque sur la scène internationale. Mais également tous les modèles qui reflètent parfaitement cette « traduction » japonaise de l’americana. La « work boot » à la Red Wing avec la « Virgil ». La chaussure en toile de l’armée type Converse avec la « Skagway ». Et le modèle « Christo », en bonus, pour les amateurs de Birkenstock et d’art contemporain.

  • visvim fbt veg suede
  • visvim virgil boots
  • christo sandals
  • visvim hiroki nakamura skagway hi pattern

Le denim

Passionné par le denim depuis l’adolescence (et surtout depuis l’achat d’un jean Levi’s « XX » dans le quartier d’Harakuju à Tokyo), Hiroki Nakamura n’hésite pas une seconde quand il a enfin l’occasion de créer sa propre gamme avec Visvim. La ligne actuelle, Social Sculpture, tire son nom du processus créatif. L’idée ici n’est pas de reproduire les icônes du passé, mais de déconstruire et remonter la chaine de production. Partir du fil et de la teinture (rope-dye) pour garantir un résultat avec l’apparence du vintage et le confort du moderne.

  • visvim hiroki nakumura social sculpture denim
  • visvim ss 101 jacket damaged
  • visvim western shirt social sculpture

Le military

Visvim c’est également de très belles pièces military. Très tôt dans la vie du label, Hiroki introduit des vestes et parkas militaires comme basiques et essentiels de sa garde robe americana rêvée. Le designer, grand amateur de l’utilitywear (et globalement de tout vêtement qui a été conçu pour répondre à un besoin et assumer une fonction), incorpore des propriétés techniques invisibles en utilisant du Gore-tex et du Cordura à foison.

  • visvim hiroki nakamura bickle taxi driver
  • visvim iris liner jacker
  • visvim kilgore olive

Enfin, il me faut mentionner les modèles de vestes d’inspiration traditionnelle : la « Sanjuro » et la « Lhamo shirt ». Rappelant respectivement le kimono (ou kosode) et la noragi , elles complètent à merveille un vestiaire qui ne renie pas ses racines japonaises et qui n’hésite pas à mixer de l’americana classique avec des pièces qui s’éloignent de l’imaginaire occidental.

visvim black sanjuro jacket - veste noragi+ collier borali first arrows feather necklace
« Sanjuro » en coton sergé, style typiquement japonais
« Lhamo shirt », forme noragi avec manche chemise. Pièce hybride qui fait se rencontrer les deux mondes

De l’indépendance à l’empire

Cela ne t’aura surement pas échappé (surtout à la vue de ces nombreuses pièces « iconiques »), mais on ne peut plus considérer Visvim comme le petit projet indépendant qu’il était à ses débuts. Et comme pour chaque marque qui grossit et qui arrive à maturité, la vision créative fondatrice peut finir par se diluer un peu. Les premiers magasins, sous le concept « F.I.L » pour Free International Laboratory, étaient pensés comme des musées ou des galeries d’art. Situés à des endroits peu fréquentés, les visiteurs potentiels étaient souvent des clients déjà acquis à la cause. Et évidemment, pas de site internet ni de vente en ligne à cette époque. Pour acheter du Visvim, il fallait vraiment le vouloir. Adhérer déjà un peu soi-même à la philosophie.

visvim hiroki nakamura fil store
F.I.L à Fukuoka. Pas de musique, une architecture minimaliste et très peu de vêtements en exposition
eyecmag.com

De l’exclusivité à la disponibilité

Aujourd’hui, les pièces de la marque n’ont jamais été autant distribuées, et autant soldées… Une pratique impensable autrefois, qui donnait lieu à un blacklisting ! Les magasins-vitrine ouverts à Tokyo dans le centre commercial GYRE (2016) et à Los Angeles (2018) offrent des expériences d’achat plus « conventionnelles » (toute proportion gardée) que les boutiques conceptuelles « F.I.L ». Enfin, la marque s’est diversifiée. Elle propose aujourd’hui un label de mode féminine, Visvim WMV, pris en charge par la femme d’Hiroki, Kelsi Nakamura. Et aussi une marque de café, au passage.

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Collection Visvim WMV automne hiver 2022
visvim.tv

Le temps des connaisseurs et du label de niche est donc terminé. Tout comme l’époque où il était nécessaire d’envoyer un mail argumenté à mr. Nakamura afin d’obtenir le « privilège » de pouvoir dépenser de l’argent chez lui et commander une paire de « FBT ». Avec une estimation à 100 millions de dollars de ventes en 2016 (selon le New York Times), et un premier défilé officiel au Piti Uomo à l’occasion de la collection printemps-été 2017, Visvim est devenue le fer de lance d’une machine à rêve qui s’exporte.

visvim runway ss17
Défilé Visvim printemps-été 2017

Visvim au-delà du storytelling

Et avec tout ce que j’ai pu te dire, tout ce que j’ai pu lire, et un peu de bon sens, il n’est pas difficile de voir en Visvim une marque qui collectionne les paradoxes. Quête d’authenticité et de substance couplée à des produits inaccessibles au commun des mortels. Marketing traditionnel inexistant (pas de publicité) qui agit en réalité comme un générateur de hype et de culture de communauté très forte. Positionnement luxe derrière un discours souvent basé sur le vêtement utilitaire et les arguments « rationnels » (savoir-faire, respect de l’environnement…).

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« FBT » Visvim x Comme des Garçons. La collaboration qui résume bien le coté paradoxal de la marque

Luxe-Heritage

Loin d’être inattaquable, Visvim a toujours été une marque jouant sur plusieurs tableaux à la fois. L’inclinaison streetwear du départ, portée par la tendance naissante hypebeast, a permis à la marque d’exister sur le marché. Et si le tournant « future vintage » positionne la marque sur une clientèle moins volatile et à la consommation plus « éthique » (et cela reste à prouver quant on voit la collection de John Mayer), ce sont finalement les prix qui s’envolent en parallèle et qui atteignent les standards du luxe traditionnel.

john mayer outfits for gq
J’ai hésité à inclure Kanye West ici, mais je pense que Boras ne me pardonnerait pas. John Mayer en full Visvim sur gq.com

Penser Visvim autrement

Alors oui, les jeans TCB sont très certainement « supérieurs » (pour les puristes) aux modèles Visvim pour un tiers ou la moitié du prix. Une simple paire de Converse ne sera pas forcément moins durable qu’une paire de « Skagways ». Et acheter une chemise en coton toute simple à 1000 dollars, ce n’est pas toujours une brillante idée… Mais ce raisonnement n’a pas vraiment lieu d’être. C’est peut être le plus grand écueil quand on aborde Visvim. Se faire happer par un storytelling qui oscille constamment entre expression sincère et ressorts marketing. C’est une erreur de la considérer comme une marque très différente, qualitativement et moralement, à d’autres grands noms du luxe.

camping trip mr porter
Alors qu’accepter la philosophie Visvim et son statut de marque de luxe à la fois, c’est déjà un peu comme être à Yosemite et entouré d’amis…
mrporter.com

Mais il ne faudrait pas non plus tomber dans l’excès inverse et assimiler la marque au luxe traditionnel ou hype. La démarche d’Hiroki est singulière. Ses produits le sont aussi. Chaque pièce est le résultat d’une recherche, d’une obsession. Avoir une fringue Visvim entre les mains, c’est déjà comprendre un peu « l’intention ». Tout ce qu’on ne pourra jamais ressentir avec de simples photos, ou mêmes des mots. La concrétisation d’une vision créative radicale qui fait de la marque le porte-étendard du japanese americana aujourd’hui.

Le (petit) mot de la fin

Que l’on parle de Visvim ou de n’importe quelle autre proposition créative clivante, Il y a toujours une question un peu classique à se poser : Quelle valeur est-ce que tu accordes à un design ? À une image, à un fantasme, à une histoire et à la manière dont elle est racontée ? Si tu es de l’équipe rapport qualité / prix et que tout ce que j’ai pu te dire dans les premières parties t’a laissé de marbre ou t’a donné envie de crier au scandale (si tu lis encore ces lignes), alors peut-être qu’Hiroki Nakamura n’est pas celui qui arrivera à te convaincre. Et c’est cool ! C’est avant tout ce que l’on aime dans la mode. Quand le vêtement ou l’approche créative provoque une réaction, ou au moins un ressenti. Le reste ne vaut pas vraiment la peine qu’on en parle…

Voilà qui conclut ce gros dossier sur Hiroki Nakamura et Visvim ! J’espère que tu auras appris quelques trucs en ma compagnie. Ou au moins passé un bon moment. Si tu veux suivre les actualités de la marque, j’ai récemment parlé la dernière collection dans nos « brèves de mode » (news à la québécoise) :

Par Nicolas

Fatigue pour les intimes.

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