L’expérience masculine du vêtement est tellement pauvre que l’on peut imaginer sans peine le t-shirt « parfait ». La paire de chaussures increvable à transmettre à son petit-fils, qui aurait certainement préféré une montre. Ou le pull « ultime ». C’est à dire le dernier que tu achèteras (avant la nouvelle version, ultime2). Car il s’agit toujours de répondre à un besoin, à un cahier des charges. De se débarrasser d’un impératif, de ce qui est parfois vécu comme une véritable corvée.
Ainsi l’épineuse question stylistique est le plus souvent évacuée dans le tunnel de vente, à grands renforts de mots clés vides de sens : « Intemporel », « indémodable », « classique ». Les superlatifs du moment, employés par ces marques qui s’adressent à « l’homme moyen », ne servent d’ailleurs jamais à l’exagération de qualités esthétiques. Le concept même de « beauté » se voyant restreint à la matière. Un beau t-shirt est en 100% coton et ne bouge pas au lavage. Un beau pull est tricoté dans une douce laine qui ne boulochera pas. La coupe ? Quoi la coupe ? Ah ! « Semi-slim ». Ni trop large, ni trop ajustée. Juste bien comme il faut, on touche à rien.
Trois tenues d’hiver avec trois pull homme qui font la différence
J’ai autrefois pensé qu’on choisissait une fringue comme on peut acheter une imprimante ou un téléphone. En regardant puis en comparant les caractéristiques techniques. Pays de fabrication. Matière. Poids. Présence de détails qui indiqueraient supposément une meilleure qualité. La fameuse hirondelle de renfort sur cette chemise qui connaitra comme grand péril une portion de trop à la cafétéria. Ou le liseré selvedge à montrer à ses copains, ornant comme un cheveu sur la soupe la toile denim la plus chiante du marché. Mais le résultat en vaut la peine, n’est-ce pas ? Car quoi de plus valorisant que de finir par ressembler à un mec qui tape « pull homme laine » sur Google ?
Chacun ses aspirations, certes. Mais essayons ici, dans notre confortable niche, de faire un tout petit peu mieux que cela. En commençant peut-être par oublier les rejetons spirituels d’Atlas for Men. Et plutôt nous intéresser à des marques qui ont autre chose à proposer que des fringues rectangulaires dans des coloris inoffensifs. Notamment à leurs pulls, tu l’avais compris, la maille étant un monde particulièrement concerné par ce déficit de créativité ambiant. MHL, Arpenteur et mfpen devraient m’aider à te convaincre, si ce n’était pas déjà le cas, qu’une maille bien choisie peut facilement « faire une tenue » à elle seule.
Une coupe travaillée : pull à col montant boxy et oversized MHL
Commençons par mon coup de coeur de la saison, déjà cité dans notre sélection des soldes d’hiver. Un pull MHL à col montant, la ligne plus accessible et « modeuse » de la designeuse Margaret Howell, qui me semble très bien illustrer, par contraste, a quel point le style est un « impensé » dans le monde du pull pour homme.
Car celui-ci se démarque d’abord par sa forme, bien avant que l’on ne s’intéresse à sa matière : la coupe boxy est complimentée par un drop shoulder (couture de l’épaule décalée) très prononcé qui annonce la couleur. En traduisant une intention, un geste.
C’est la différence avec un pull trop grand dont la gradation aurait été faite à la truelle. Les manches sont ainsi plus courtes (bien que toujours assez longues sur moi) et la longueur du corps maitrisée. Juste ce qu’il faut pour organiser un layering, ici avec mon blouson en cuir.
Tout dépasse et invite à étager la silhouette. Le col, d’une rigidité bienvenue, ne s’effondre jamais. Les manches, si je choisis de ne pas les roulotter, recouvrent presque la main. Voilà une maille qui sait comment ne pas se faire oublier, qui n’est pas là uniquement pour te faire passer l’hiver. Qui justifie naturellement sa présence dans ton armoire, sans passer par le matraquage sur Youtube.
Une couleur subtile : pull « DYCE » par Arpenteur
Le deuxième pull qui m’a donné envie de sortir l’appareil photo vient de chez Arpenteur, marque lyonnaise que nous aimons beaucoup et que je compare d’ailleurs assez régulièrement à MHL. Je suis tombé dessus lors de mon dernier passage à la traditionnelle braderie hivernale organisée par la marque, un « vieux » modèle de l’automne/hiver 2022 m’ayant alors tendu les bras.
Si sa coupe est également réussie (drop-shoulder, maille lourde et « roulée » qui permet de réduire la longueur sans venir resserrer le bas du pull comme le ferait un bord-côte), c’est davantage sa couleur qui m’intéresse pour l’exercice du jour. Un rose très subtile. Le genre de teinte habituellement importable pour moi, mais qui heureusement vient tirer sur le gris. Un rose « froid » donc, désaturé, qui fonctionne surprenamment bien avec ma carnation et mon vestiaire à la fois.
Ce travail de la teinture sur cette laine mérinos « lisse », tricotée en mailles très serrées, apporte du relief à un pull somme toute assez classique par ailleurs. Dont le caractère visuellement rustique, hérité du monde marin, est ici contrecarré par la préciosité d’un teinte qui réveille mes tenues en douceur.
De la texture : pull noir mfpen
Que reste-il quand on sacrifie la coupe et la couleur ? « Sacrifier » étant ici un bien grand mot, pour le plaisir de la formule. Car mon pull noir de chez mfpen, marque danoise qui cultive l’austérité comme aucune autre, est bien coupé. Oversize, avec une longueur de manche qui conviendra même aux nordiques les plus éloignés du sol.
Allons à l’évidence : acheter un pull noir n’est pas forcément recommandé. Un peu comme la chemise, les connotations en moins. Il n’évoque donc pas grand chose. Si ce n’est une « fausse bonne idée », celle du basique passe partout. De la couleur neutre facile à porter. C’est faux. Et l’ennui frappe toujours à la porte. Alors comment trancher entre le non-choix bancal et la proposition modeuse ?
La coupe, bien sûr. Mais aussi la matière, un sujet dont je ne me suis absolument pas préoccupé jusqu’alors. Et mieux vaut cliver, savoir que l’on va pas plaire à tout le monde, quand on s’attaque à une pièce piégeuse comme le pull noir.
C’est ce que fait mfpen en favorisant un coton « bouclé », très texturé, plutôt qu’une laine traditionnelle. Est-ce le choix le plus rationnel pour une pièce que l’on définit d’abord par sa capacité à tenir chaud ? Non. Mais c’est pourtant cela qui me donne envie de le porter.