J’ai déjà eu l’occasion de te parler de quelques marques coréennes dans la Revue de Mode #4, un petit teasing pour la suite. Aujourd’hui, on va s’intéresser plus en détails à la mode (sud-)coréenne et tenter d’en définir les contours. Encore très peu de choses ont été écrites à ce sujet en France, c’est donc l’occasion pour nous de reconnaître une industrie qui monte et qui cherche à exporter ses marques et designers à l’international. Tout ça dans un phénomène plus global d’explosion du soft-power coréen.
Ce qui est vraiment intéressant avec la mode coréenne, c’est que tout reste à faire et à expérimenter. Toujours largement influencée par les tendances et créations occidentales, elle commence peu à peu à affirmer son identité. Un regard qui n’est plus une simple émulation de celui des créateurs occidentaux ou japonais, mais bien une vraie volonté de proposer des alternatives différentes et puisant dans ses références propres. Pour mieux comprendre tout ça, on va voir ensemble l’histoire de la mode coréenne, les tendances actuelles et enfin quelques marques et créateurs à suivre ! On aura l’occasion de revenir là dessus un peu plus tard, dans un nouvel article.
La K-wave, une déferlante culturelle organisée
Avant d’entrer dans le vif du sujet, on ne peut pas ignorer tout le contexte qui pousse en premier lieu le monde entier à s’intéresser à la Corée du Sud et sa culture.
K-pop, K-drama, K-beauty, K-fashion…
Tu as forcément déjà entendu au moins une fois ces diminutifs au cours de ces dernières années (à moins de vivre dans une grotte). On peut rapprocher tous ces termes de la « K-wave », en français la « vague coréenne », phénomène qui tire son nom de l’expression chinoise « Hallyu (한류) » et qui désigne l’accroissement du soft-power coréen en dehors de ses frontières nationales.
La stratégie d’exportation culturelle mise en place à partir des années 90 par le gouvernement coréen va être l’un des facteurs déterminants dans cette série de vagues déferlantes. Une véritable industrialisation du processus culturel, où tout est calibré et formaté pour toucher un public-cible à l’étranger. Ce qui ne fonctionne pas est mis de coté, vite remplacé par quelque chose de plus performant. Plus que de culture, on parle ici plutôt de « contenu créatif » et d’une stratégie commerciale qui s’appuie sur des produits de divertissement de masse. Et tout commence avec la Chine voisine, très rapidement séduite par les « k-dramas » (séries coréennes) puis par la « k-pop ». Le Japon succombe en 2002 avec la série « Winter Sonata ». L’Occident sera touché à la fin des années 2000. Tu connais surement la suite, les récents succès des films coréens dans le monde entier, des phénomènes comme « Squid Game » et « BTS » deviennent mainstream et intègrent cette culture mondialisée.
Petit récapitulatif des percées coréennes avec cette chronologie :
Tu te demandes peut-être pourquoi je te parle de tout ça. Parce que la mode est un secteur secondaire qui fait partie intégrante de la « Hallyu 3.0 », la troisième vague coréenne qui débute au milieu des années 2010. L’industrie de la mode bénéficie, au même titre que les cosmétiques (« K-beauty ») ou la nourriture (« K-food »), des retombées de l’immense popularité de la musique, des films et séries coréennes. Soudainement, tous les yeux sont rivés sur la mode coréenne, sur ce que portent les idols / influenceurs fabriqués par un star system industrialisé à l’échelle nationale. Dans un même mouvement, moins mainstream, les marques de niche et les créateurs gagnent en légitimité et en assurance. La Fashion week de Séoul prend sa place au sein des acteurs historiques et les designers sud-coréens cherchent aujourd’hui à s’émanciper de leurs influences premières, sentant que le moment est venu pour eux de légitimer la scène coréenne aux yeux du monde.
K-fashion, l’histoire de la mode coréenne
Revenons un temps aux origines de la «k-fashion » moderne. L’industrie de la mode sud-coréenne est très jeune et se développe grâce à l’ascension économique fulgurante de la Corée du Sud à la fin du XXème siècle. Ce pays déchiré par la guerre, qui fut l’un des plus pauvres au monde, devient en moins de 40 ans une puissance d’une richesse comparable au Japon. Cet enrichissement très rapide au sein d’une économie capitaliste a favorisé le développement d’une culture de la consommation et un appétit pour la mode étrangère. Entre streetwear à gros logos, fakes, tendances, normes et création, la mode sud-coréenne est aujourd’hui un nouvel El Dorado qui voit naître des marques chaque jour, ou presque.
La mode en Corée du Sud et ses influences : des vêtements traditionnels aux vêtements occidentaux
Pendant plus de 2000 ans et jusqu’au début du vingtième siècle, les coréens ont porté quotidiennement l’habit traditionnel du nom de « hanbok » (nom qui signifie littéralement « vêtement coréen »). Hommes et femmes, riches comme pauvres… tous portaient ce costume et les différences étaient peu marquées entre les catégories sociales et les genres. Ampleur, couleurs vives, conception unisexe… L’habit traditionnel est certainement une très grande influence pour la mode coréenne encore aujourd’hui.
Ce n’est qu’avec l’occupation du japon (1910-1945) et la seconde guerre mondiale que les coréens découvrent le vêtement occidental dans un processus de modernisation imposée. Il faut ainsi attendre les années 50 pour que commence à se former les embryons d’une industrie de la mode sud-coréenne, avec notamment Nora Noh qui est la première marque à s’établir sur le sol national en 1950 et qui existe encore aujourd’hui.
Les années 60 à 80 marquent un tournant décisif pour la mode coréenne. Le premier magazine est lancé en 1964, même année pour la première école de mannequinat. L’influence de l’occident est plus forte que jamais et les courants d’émancipation de la jeunesse des années 70 usent du vêtement comme arme de résistance face à un gouvernement conservateur. (Mini-jupes, style punk, jeans skinny…). L’import de certains produits étrangers est interdit afin de favoriser la production nationale, ce qui conduit directement à l’hégémonie de la cosmétique coréenne. Les années 90 seront les plus importantes avec l’apparition des premiers groupes de k-pop, la première vague traverse le pays.
Une industrie de la tendance. Naissance du streetwear, k-pop, ultra fast-fashion et normes sociales.
Cette montée en puissance de l’industrie de la mode en Corée est évidemment favorisée par l’enrichissement fulgurant de la population et de toute une nouvelle génération de consommateurs. La mode occidentale dicte les tendances coréennes, un phénomène qui prend une ampleur nouvelle dans les années 90 avec la popularisation du streetwear américain représentés par Supreme et Stussy. Mais le conservatisme gouvernemental empêche toujours l’import des marques étrangères… On assiste ainsi à la naissance d’alternatives made in Korea telle que Thisisneverthat qui « s’inspire » très largement des fringues Supreme qui ne sont pas disponibles en Corée. À coté de ces nouvelles marques, les marchés locaux du textile coréen (Dongdaemun…) se mettent à produire en masse des contrefaçons qui rendent cette mode étrangère accessible à toute une jeune génération. Le streetwear coréen est lancé.
Au-delà de l’influence étrangère, ce sont les artistes de k-pop et les acteurs de k-dramas qui vont imposer les tendances à suivre. Collaborations avec les marques, contrats de mannequinat et rôles d’égéries… L’industrie du divertissement tisse des liens étroits avec la mode qui use et abuse de ces influenceurs-stars, un ressort particulièrement efficace en Corée où hiérarchie et normes sociales restent très fortes.
La beauté est en effet un très puissant levier d’ascension sociale, et les coréens sont décomplexés quant aux questions esthétiques quant il s’agit de rentrer dans la norme (premier consommateur de chirurgie au monde, statistiquement). Rien d’étonnant donc à ce que la mode soit un facteur normatif extrêmement important dans la vie quotidienne des coréens. Si un produit est tendance, tout le monde le porte. S’il ne l’est pas, il est quasi introuvable sur le marché. Cet environnement social favorise la naissance de l’ultra fast-fashion avec un site tel que Yesstyle, crée en 2006. C’est à dire deux ans avant Shein et quatre ans avant Aliexpress. Sans parler du phénomène du wholesale : les marques achètent et vendent les mêmes produits sous des noms différents.
La Séoul Fashion Week et les ambitions nouvelles des designers sud-coréens.
Au-delà des normes et des influences, des tendances qui définissent ce que la majorité va porter, la mode créative sud-coréenne tente de se faire une place dans un contexte propice à son émancipation. Fondée en 1984 à Séoul, la Fashion week coréenne a très largement profité du phénomène du Hallyu de ces dernières années. La ville aspire maintenant à devenir la cinquième capitale de la mode, après Paris, Milan, Londres et New York, alors que de plus en plus de créateurs coréens défilent à l’étranger. Je pense notamment à Doucan et EENK qui ont présenté leurs collections sous l’appellation de Seoul Fashion Week au palais Brogniart à Paris pour la saison Automne-Hiver 2022.
Nombreux sont ceux qui tentent de se détacher peu à peu des modèles occidentaux, comme par exemple Balenciaga ou Vetements qui ont été des influences majeures pour la high-fashion coréenne de ces dernières années. Il s’agit maintenant pour la mode sud-coréenne de dépasser le stade de la simple copie pour atteindre l’expression d’une véritable vision, de ne plus suivre les tendances du moment qui font certes gagner en popularité et en visibilité, mais qui sur le long terme empêchent la définition d’une identité propre. Le temps est à l’expérimentation et à la prise de risque, alors qu’on laisse sa chance à une nouvelle générations de designers et de petites marques. Mina Chung, Painters, Seokwoon Yoon, ou encore COMSPACE NOT ENOF WORDS sont quelques noms qui portent l’espoir d’une reconnaissance internationale.
Les courants esthétiques dans la mode coréenne. Quelles sont les marques à suivre et où les trouver ?
On a vu ensemble le rapport des coréens avec la mode, il est maintenant temps de s’intéresser aux tendances de fond et à quelques marques représentatives du marché. Evidemment, je serais bien incapable d’affirmer que les coréens s’habillent de telle ou telle manière. Le but n’est pas de proposer une liste exhaustive, ni même de définir les styles de tout un pays (on ne va pas résumer non plus la France au quartier du Marais). Juste des exemples parlants, et vu que je suis sympa je te donne au passage quelques adresses pour que tu puisses approfondir de ton coté.
Si les grandes tendances stylistiques en Corée du Sud sont assez comparables à tout ce que l’on peut trouver dans la plupart des marchés mondialisés, la spécificité sud-coréenne se trouve peut être dans cette volonté d’émancipation qui pousse les nouveaux créateurs à proposer « plus » que du vêtement sous influence occidentale.
Le streetwear / street créateur coréen, aller au-delà de la copie
La première chose que tu trouves quand tu cherches des marques coréennes. On a vu ça ensemble tout à l’heure, le streetwear est la tendance prédominante en Corée du Sud depuis les années 90. Le style est largement favorisé par les idols de la k-pop (et surtout la douzaine de stylistes qui s’occupe de ça à leur place). Le jeu avec les couleurs vives, les logos, les motifs, les volumes et accessoires permet un style ultra visuel dans une industrie centrée sur l’image et la performance. Le caractère unisexe permet enfin à n’importe qui de porter ces vêtements (très pratique quand il s’agit d’influencer des groupes de fans féminins comme masculins).
Voici quelques marques de la scène streetwear qui sont à connaitre.
Thisisneverthat, l’alternative à Supreme, est un bon point de départ pour du streetwear classique coréen (Je pense également à 87mm Seoul et à 13Month). Pour quelque chose d’un peu plus poussé et « mode », les visions luxes et créatives d’Ader Error et d’Hyein Seo sont des incontournables dans le genre. Couleurs flashy d’un coté, du noir et du techwear de l’autre. Dans les deux cas, de l’oversize et de l’avant-garde.
Tu peux retrouver les marques streetwear coréennes un peu partout à Séoul, notamment dans le fameux centre commercial souterrain de Dongdaemun. Tu peux regarder chez A-Land ou Warped en ligne, parmi tant d’autres.
L’esthétique minimaliste dans la mode coréenne, une alternative à l’approche occidentale
À l’instar du streetwear, le style minimaliste est une tendance mondialisée qui n’est pas propre à la mode coréenne. Mais l’offre des créateurs sud-coréens est loin d’être inintéressante en la matière, notamment avec des boutiques de niche comme obscura ou 8division qui proposent une sélection de labels qu’on ne trouve pas ailleurs. Coté mainstream, un site tel qu’asclo vend de l’épure par palettes, comme une réponse aux esthétiques surchargées de la culture hypebeast.
Quelques-unes des marques qui ont retenu mon attention sont Youth, Brownyard et Hatchingroom (je ne peux pas non plus ne pas mentionner Wooyungmi, sûrement le plus grand succès dans le luxe coréen). La scène minimaliste est foisonnante, je ne peux que te conseiller d’aller fouiller par toi-même sur les boutiques en ligne. En règle générale, le travail de curation est toujours vraiment pris au sérieux et tu ne risques pas de trouver une marque qui n’est pas au niveau au milieu des autres.
En plus des sites mentionnées au-dessus (et comme toujours, n’oublie pas les sites officiels des marques), tu peux aller voir chez IAMSHOP pour un choix plus hétéroclite et international.
Les styles wide / heritage. La mode coréenne et la culture du free size
Tous les styles qui nous intéressent en particulier sur le média sont également représentés par des marques sud-coréennes, du military au workwear en passant par le wide. (Je ne vais pas m’étendre outre mesure sur cette catégorie, une sélection de marques coréennes arrivera prochainement !). Eastlogue, Birthdaysuit, Frimzworks ou même la curation folle d’Anglan (on est clairement dans de la fast fashion), l’offre est une fois de plus très variée et repose sur une culture du large et du free size.
Certaines marques commencent à acquérir une notoriété en dehors des frontières coréennes et viennent chasser sur les terres d’Engineered Garments et de Sillage. Les quelques marques que nous avons vues ici ne sont qu’une infime partie de tout ce que la mode coréenne peut nous offrir. Le Japon n’est plus le seul pays à surveiller et de sérieuses alternatives, souvent plus « mode » dans l’esprit, apparaissent régulièrement dans un contexte propice à l’expression d’une certaine fraicheur et liberté.
Comment bien acheter en Corée du Sud ?
Je t’ai déjà donné quelques pistes plus haut, mais voila quelques règles générales supplémentaires. Je te conseille d’ignorer tout site qui indique vendre de la « Korean fashion », le but n’est pas d’acheter un déguisement ou une idée de ce que les coréens portent, mais bien des vraies marques coréennes. (On oublie aussi Yesstyle, Gmarket et compagnie.) En évitant ces écueils et en connaissant les bonnes adresses, c’est finalement assez simple de faire son shopping en Corée. Beaucoup de sites vendent à l’international et les mesures sont souvent indiquées. (Et n’oublie pas les sites comme End clothing, Farfetch ou SSense qui peuvent avoir une sélection très pointue de marques coréennes).
Si tu as la chance de voyager en Corée du Sud, tu peux aller du coté de Hongdae, Sinchon, et Myeongdong pour ne citer que quelques lieux ! (Sinon il y a aussi la boutique See Fan à Paris, un peu moins loin).
Quelques comptes instagram à suivre
On termine ce dossier sur la mode coréenne avec nos recommandations de comptes Instagram à suivre, tu trouveras ici un peu de tout. Pas d’ordre de préférence, on est simplement là pour un peu d’inspiration.
Le mot de la fin
Voila pour cette introduction à la mode coréenne ! J’espère que tu auras appris des choses avec moi aujourd’hui, et surtout que tu comptes bien garder un oeil ouvert sur une industrie qui monte et qui a encore beaucoup de choses à dire. Après le cinéma et la musique, tout semble indiquer que le futur de la mode sera coréen.
D’ailleurs, Kim Jong-Un a vraiment tout compris en lisant les articles du média : c’est fini pour les jeans skinny en corée du Nord. On attend toujours pour les Stan Smith…