Le futur sera streetwear-chic avec Teddy Santis et Aimé Leon Dore

Qu’est-ce que « le style contemporain » ? Comment saisir à un instant T ce qu’on appelle communément « être à la mode » ? Une expression péjorative, et vieillissante, qui porte en elle tous les reproches faits à une industrie qui ne doit jamais rester en place afin d’assurer sa propre survie, quitte à regarder en arrière. Mais également l’idée de vêtements et de marques qui incarneraient parfaitement les valeurs et aspirations d’une époque donnée. Alors, qu’en est-il de la nôtre ? Cette période inédite qui semble permettre et valoriser plus que jamais l’hétérogénéité. Le grand mélange des styles, des registres et des influences au sein d’un seul et même espace-temps. Au sein d’une même tenue. Pur produit de l’émulsion culturelle new-yorkaise, le designer Teddy Santis est peut-être l’un des rares à détenir une partie de la réponse avec Aimé Leon Dore, son label phénomène.

Teddy Santis Aimé Leon Dore histoire
highsnobiety.com

Dans ce format consacré aux designers qui comptent dans le paysage de la mode masculine, nous te proposons aujourd’hui de revenir sur l’ascension fulgurante d’un jeune créateur qui a su imposer sa vision personnelle en moins d’une décennie. Un parcours qui ne peut se comprendre qu’à condition de plonger dans un microcosme sans équivalent. Là où les tendances et l’éducation stylistique se jouent à l’échelle d’une ville, d’un quartier, d’une rue, d’une partie de pickup basketball improvisée.

Teddy Santis et le New York des années 90 et 2000

Car Teddy Santis n’a rien en commun avec le stéréotype classique du designer à succès tel qu’on l’imagine un peu trop facilement. Il n’est pas l’élève modèle d’une grande école de mode dans une des capitales accueillant une Fashion Week. Il n’est pas non plus propulsé sur le devant de la scène par des parents privilégiés déjà bien intégrés dans le milieu. Mais seulement un gamin issu d’une famille modeste de grecs immigrés aux États-Unis qui se retrouve par un heureux hasard en plein coeur de New York.

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Queens, NYC

For us, the number one thing is to be honest. I really am from Queens. I really grew up listening to Mobb Deep, Nas, and all of them—these guys whose sound still resonates with me and everything I fuck with. It’s very hard to understand that era of music and of the city if you didn’t live through it.

Teddy Santis pour SSense

Et Teddy ne grandit pas dans n’importe quel New York, mais celui des années 90. Celui de l’après-grunge qui verra la culture hip-hop encore naissante bientôt exploser. Celui du basket de rue, du graffiti, du breakdance. De Tommy Hilfiger, Supreme, FUBU et du détournement des fringues Ralph Lo’ par une génération de néo-américains et de « low-life  » désireux de toucher du doigt les fragments d’un mode de vie fantasmé.

snoop dogg & notorious BIG dans les années 90
Pour une plongée dans les inspirations de la marque, je te conseille un tour sur la page « Source » du site officiel
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Sous-cultures

Aidant ses parents en travaillant au diner familial sur la 89th street à Manhattan, la jeunesse de Teddy Santis est d’abord marquée par l’acceptation du fardeau qui incombe aux premières générations d’immigrés. Une adolescence qui trouve ses exutoires dans la musique et le sport. Deux passions aux communautés très proches. L’intérêt pour la mode vient juste après.

teddy santis aimé leon dore
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I grew up playing ball all my life. It’s a huge part of our brand and my whole style. Pick-up ball in New York is like nowhere else in the world. It’s its own society. As terrible as it sounds, if you show up to play ball in Queens looking like a dweeb, you’re not going to play. I don’t care how good you are.

Teddy Santis pour SSense

Où plutôt s’impose en parallèle dans la rue où l’enjeu de la forme est aussi important que celui du fond. Car la vérité de ce qu’on appelait encore les « sous-cultures » est bien là. Une époque où l’appartenance était d’abord une question d’assimilation à un ensemble de codes bien définis. Où chaque groupe possédait sa propre langue, son uniforme. Ce que Teddy définit comme une « société à part entière » est le point de départ d’une éducation esthétique pas comme les autres.

street ball new york pickup basketball années 90
4th street, 1996
nypost.com

Bricolage adolescent

De la musique qu’il écoute au sport qu’il pratique, le futur designer se voit en effet témoin et acteur privilégié de mouvances stylistiques nouvelles et d’expérimentations propres à un temps d’affirmation de soi. Car bien s’habiller (selon les standards du groupe) est à la fois une nécessité pour faire partie intégrante de la communauté, et en même temps la manière la plus directe de signifier sa propre altérité. Une ambivalence qui se concrétise par une certaine culture du « bricolage », faute de moyens.

I built my own personal archive growing up—from brands like Ralph Lauren to Nom de Guerre. Nom de Guerre for me was one of the biggest inspirations behind my brand. They made it okay to go and buy a pair of dunks, to wear them with a pair of trousers, a knit, and a wool zip-up. And it was completely cool. I really am a product dweeb. I grew up loving product. There was also Supreme, who birthed our whole streetwear culture

Teddy Santis pour SSense
ralph lauren polo sport
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Chaque tenue est alors comme un défi créatif où chacun doit composer avec ses propres armes. Une approche purement stylistique qui bientôt se cristallise dans la rencontre avec Ralph Lauren à l’âge de quinze ans. Une marque rapidement adulée par le jeune Teddy Santis qui en retient l’idée fondamentale qu’un label doit avant tout « éduquer ses clients ». C’est à dire former le goût au-delà du vêtement en lui-même. Ce qu’il retrouve chez le défunt, mais culte label Nom de Guerre et sa proposition visionnaire d’un vestiaire streetwear-luxe à base de fringues d’inspiration military et de matières japonaises.

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Nom de Guerre FW08
nomdeguerre.net

Mott St.

Quand le diner de la 89ème est menacé par les ambitions d’une multinationale peu concernée par l’affaire familiale, Teddy Santis comprend que le temps de l’émancipation est proche. Sans aucune formation en mode ni études supérieures à son actif, il trouve finalement sa place dans une boutique de lunettes haut de gamme et fait ses armes dans le marketing et le monde du design.

« Aimé »

Et contre toute attente, voilà bien le moment où Teddy Santis s’est retrouvé au bon endroit, au bon moment. Et peu importe son parcours non-conventionnel. C’est bien ce qui va faire toute la différence. Vivre à New York et surtout dans le quartier multiculturel du Queens a été pour lui synonyme d’une formidable ouverture au monde. Et notamment au style. Avec son baggage européen et ses racines grecques en poche, il est repéré par les clients qui apprécient son « oeil ».

ronnie fieg kith
Ronnie Fieg
wethenew.com

Et comme les choses sont bien faites, les habitués de la boutique new-yorkaise ont le bon goût de travailler dans la mode. Il faut croire que vendre des lunettes de designers n’était pas une mauvaise idée pour en rencontrer d’autres. Tout commence réellement avec Ronnie Fieg en 2012 alors que ce dernier venait tout juste de lancer le futur phénomène streetwear Kith. Une connaissance qui devient un ami proche. Mais également une plateforme pour « tater le terrain » quand Ronnie publie sur son instagram personnel une photo de mauvaise qualité d’un sweatshirt floqué par Teddy avec un logo un peu moche épelant « Aimé ».

ronnie fieg aime leon dore teddy santis instagram post sweater
mixfitmag.com

Leon Dore

Des temps plus simples où l’on pouvait fièrement porter un t-shirt avec une photo de Will Smith une moustache dessinée sur le majeur. Où des mots français aussi banals que « Bisous » ou « Paris » sonnaient encore juste, alors que 500 likes suffisaient à faire naitre l’espoir d’une carrière. Si Teddy Santis n’est pas spécialement fier de ce premier brouillon, les réactions enthousiastes amènent le designer en devenir à lancer son projet deux ans plus tard.

aimé leon dore teddy santis tag logo
baycrews.jp

Ne pouvant obtenir un trademark sur un mot aussi vague que le verbe aimer, Teddy est contraint de repenser son branding. Avec toujours l’intime conviction que sa marque se doit d’être bien plus qu’une simple usine à vêtements, il se tourne vers ses références familiales pour trouver son inspiration. « Leon » pour le surnom donné à son père. « Dore » pour les dernières syllabes de son propre prénom, « Théodore ». Aimé Leon Dore nait ainsi officiellement en janvier 2014 avec une première collection rendue disponible en ligne, puis dans un pop up store sur Mott Street ouvert seulement le week-end.

aimé leon dore mott street store
Le premier concept-store
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Mulberry St.

Treize pièces et un exercice de stylisme qui témoignent d’emblée d’une vision éclectique réminiscente du travail de Nom de Guerre. Des essentiels à logo dans un esprit minimaliste avec des sweatpants en fleece et des hoodies, évidemment. Mais également une chemise button-down, un gilet sans manches d’inspiration workwear ou encore un trench en laine.

première collection ald aimé leon dore
hypebeast.com

Post-streetwear

Les prémices d’une marque qui comme ses modèles ne cessera ensuite de tendre vers quelque chose qui va bien « au-delà » des frontières du streetwear. Si les premiers lookbooks d’Aimé Leon Dore ne peuvent pas tenir la comparaison avec la production visuelle actuelle de la marque, ceux-ci se diffusent pourtant en masse à l’heure de l’apogée de Tumblr. La vision de Teddy Santis trouvant immédiatement un écho dans un contexte de « casualisation » globale de la société américaine, de la montée en puissance du leisurewear et d’une mode masculine aux codes classiques en perte de vitesse.

aimé leon dore 2014 launch debut collection teddy santis
hypebeast.com

La « patte Aimé Leon Dore » se précise véritablement avec la collection anniversaire de 2015 et un lookbook qui marque les esprits. La chambre blanche, le tapis persan, les cadres (vides) et les bouquins au sol, une balle de basket et une paire d’Air Jordan… Tous les ingrédients sont déjà réunis, avec des mannequins qui prennent la pose dans un décor comme une nature morte. Les collections qui suivent voient l’application et le perfectionnement de la même recette alors que le lifestyle idéalisé prend une importance aussi grande que les pièces en elle-même.

aime léon dore 2015 lookbook
hypebeast.com

Imposer sa signature

Une approche luxe du streetwear qui trouve son équilibre avec les collections de 2016 et de 2017 laissant autant de place aux elevated staples, les permanents sporstwear fonctionnels qui ont fait le succès d’ALD, qu’aux fringues d’inspiration tailoring et heritage. Après l’incroyable viralité des lookbooks vient enfin le succès de pièces qui visent juste, dont des ensembles tie dye particulièrement convoités au printemps / été 2018. Ce qui relevait d’une culture stylistique personnelle héritée de la mode de la rue des années 90 et 2000 est maintenant une signature esthétique très forte qui redéfinit peu à peu les contours de la mode masculine contemporaine.

aimé leon dore tye dye
nytimes.com

La machine lancée, la marque accélère sur tous les fronts. Avec notamment la fermeture du fameux pop-up store de Mott Street, entre-temps devenu magasin permanent, et l’ouverture d’un flagship à une très belle adresse, au 214 Mulberry Street dans le Manhattan-Sud. Un espace conceptuel rapidement squatté par tous les modeux du coin.

aimé leon dore mulberry store magasin
Magasin de la Mulberry Street
nytimes.com

D’autant plus quand Teddy Santis s’inspire de « Kith Treats » ou ouvre le « Café Leon Dore », proposant des spécialités grecques comme autant de bonnes excuses pour s’attarder un peu. Aimé Leon Dore prend son rythme de croisière alors que les collaborations triées sur le volet s’enchainent, notamment avec New Balance. Une si franche réussite, le comeback de la 550 en figure de prou, que le designer accède au poste de directeur créatif de la ligne made in USA en 2022.

aimé leon dore new balance teddy santis 550
sneakerstyle.fr

Partager l’esprit Aimé Leon Dore

Si retracer le parcours et les intentions de Teddy Santis ne dit pas tout de son label, il est pourtant clair qu’avoir en tête les origines d’Aimé Leon Dore est particulièrement intéressant si l’on souhaite bien saisir la « philosophie » et les valeurs véhiculées aujourd’hui par la marque.

I want my brand to be known as one that touches beauty and real life in all its aspects—one that tells stories through these experiences. The biggest goal for me right now is to create a vibe and a platform for a kid who wants to continuously evolve, but with the same values. If I had to try and build a certain lifestyle like Ralph did, it’s about staying true to what we really represent, which is: We’re from New York.

Teddy Santis pour SSense

Pour New York, par New York

Car la première chose à bien comprendre avec Aimé Leon Dore est que tout cela reste l’affaire de Teddy Santis. La popularité de la marque ayant moins contribué à édulcorer le propos initial qu’à rendre viable une plus grande créativité témoignant d’une approche encore très « niche » de la mode masculine. ALD étant de bien des manières le reflet singulier de contre-cultures qui sont propres à sa ville, à son quartier, à son histoire personnelle.

aimé leon dore teddy santis new york store basketball
vogue.com

Clothing for the family

Il y a donc ici l’idée première d’une « communauté ». Un terme qui peut sembler un peu fourre-tout, mais qui désigne spécifiquement la volonté prégnante chez le designer de rassembler des individus autour de références et de goûts qui sont d’abord les siens. Le streetwear new-yorkais en tant que sous-genre distinct d’idées abstraites qu’on associe généralement à ce « style ». Comme l’uniforme si spécial du pickup-ball quand il est joué dans les rues du Queens en hiver.

teddy santis aimé leon dore basketball
aimeleondore.com

La section « à propos » du site officiel qui redirige vers « Illmatic » de Nas en promettant ironiquement, mais très justement « plus d’infos » est très parlante à ce sujet. En partageant également la musique de sa jeunesse à l’aide de playlists élaborées en interne, Teddy Santis s’adresse avant tout à un groupe de connaisseurs. C’est à dire à tous ceux qui ont vécu l’époque référencée par Aimé Leon Dore, et non pas au consommateur de streetwear archétypal. Citons également l’initiative Sonny NY, une organisation sportive et une ligne de fringues pour le basket, qui concrétise cette idée d’une marque ancrée dans un contexte local.

aimé leon dore sonny ny affiche
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Sous-genres

Teddy ne souhaite donc absolument pas plaire à « tout le monde » avec son travail, si populaire le hip-hop des années 90 soit-il. Une volonté qui contraste forcément aujourd’hui avec l’explosion d’un label qu’on pourrait faussement penser mainstream. Aimé Leon Dore possède pourtant toutes les caractéristiques d’une marque de créateur typique, à commencer par les inspirations revendiquées ou sous-jacentes. Sans même parler des tarifs pratiqués…

aime leon dore decor lookbook vintage
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Décrire en termes purement stylistiques ce que propose ALD aujourd’hui n’est pas chose facile, tant le savamment dosé melting pot des débuts s’est transformé en un cocktail aussi monstrueux que cohérent. Streetwear-chic rétro, casual-chic impertinent, heritage à la sauce workwear et gorpcore… Il transpire toujours néanmoins ce sentiment de grande liberté, où le vêtement apparait comme le symbole du partage et d’un autre coté l’expression de goûts plus personnels et nécessairement clivants.

aime leon dore teddy santis installment II fall winter 22 joey badass
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Les fringues après tout le reste

C’est pourquoi on peut parfois avoir la nette impression de se retrouver face à une marque qui cherche moins à vendre ses pièces qu’à sans cesse créer du « beau » à partir d’histoires et de « moments » teintés de nostalgie. On entrevoit alors chez Teddy Santis ce profond rejet du vêtement comme finalité au profit de ce qui ressemble à une pure expérience esthétique et sociale.

With the brand, apparel was never the main initiative. I felt that there was some sort of void and that was the biggest push behind the product but the main goal was to create a platform I can share with people who appreciate the same things I do – whether it be apparel, storytelling, spaces or just something with strong core values, I wanted to share it my way

Teddy Santis pour END
aimé leon dore ss22 collection
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Stylisme iconique

Une philosophie du style qui se traduit notamment par un travail exceptionnel sur tout ce qui relève de la direction artistique. Aimé Leon Dore étant incontestablement l’une des meilleures marques du marché en la matière. Et s’il serait bien difficile de citer une pièce iconique chez ALD qui incarnerait à elle seule l’esprit du label, il ne faut qu’une seconde pour reconnaitre la provenance d’un lookbook ou d’une publicité impeccablement filmée.

C’est plus concrètement encore par le stylisme des tenues, par la créativité des associations et la fabrication des silhouettes que Teddy Santis parvient à imposer sa patte très singulière. Une vision qui assure une cohérence de tous les instants, et ce malgré des pièces piochées aux quatre coins du vestiaire masculin.

aimé leon dore collection 2023 teddy santis
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La sincérité de la rue

Et il y a dans ces multitudes de tenues à la croisée des genres un subtil équilibre entre ce qui relève de l’ « importable » et de « l’inspirant », ou plutôt entre le déguisement et le « naturel ». Ce que l’on retrouve par exemple chez un créateur comme Daiki Suzuki, adepte des lookbooks maximalistes et très certainement détenteur d’un bon sens du second degré.

Lots of people are trying to represent that New York vibe, but if you don’t really represent it, people can see right through it. We’re representing that era through product, we’re doing it through visuals, and we’re doing it through film, but we’re not trying to recreate it (…) All our stories are rooted in that era of realness and authenticity—it’s either you fuck with it or you don’t. It’s not a short-term trend kind of thing. I’m a big believer that streetwear really is New York. It was invented here.

Teddy Santis pour SSense

Un équilibre qui ne semble pouvoir être atteint qu’au terme d’une démarche particulièrement sincère. Les tenues pensées par Teddy Santis ont une qualité qui ne trompe pas : elles donnent souvent l’impression d’avoir été assemblées avec les « moyens du bord ». Et invitent en retour à « bricoler » par soi-même. À entrainer son oeil.

aimé leon dore collection automne hiver 2022 teddy santis
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Les invités du « club Aimé Leon Dore »

Aimé Leon Dore parvenant tant bien que mal à être une marque très populaire et un club élitiste un peu fermé à la fois, il est d’autant plus pertinent de s’intéresser aux « heureux élus » qui sont choisis par Teddy Santis pour une collaboration.

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Aimé Leon Dore x New Balance « Rainier ». Superbe campagne commerciale à l’esprit rétro
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Une logique commerciale commune dans le monde du streetwear qui n’a évidemment rien de très novatrice, si ce n’est que la politique d’ALD semble davantage favoriser le prolongement de la philosophie maison que de suivre des logiques purement financières. New Balance ayant été inévitablement citée plus haut, voici trois autres collaborations qui valent le détour.

Aimé Leon Dore x Clarks

En choisissant de mettre à l’honneur la paire de chaussures la plus reconnaissable du hip-hop des 90s avec des Clarks « Wallabees » portées par la légende Nas en personne, Teddy Santis rend hommage à tout ce qui a permis l’existence d’ Aimé Leon Dore en premier lieu. La boucle est bouclée.

Aimé Leon Dore x Woolrich

Marque américaine heritage par excellence, Woolrich était un choix judicieux pour les incursions d’ALD dans le monde du gorpcore. Le résultat est à la hauteur des ambitions avec une dépoussiérage en règle des archives de la marque historique.

aimé leon dore woolrich 2022 collection capsule
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Aimé Leon Dore x Drake’s

En s’associant depuis plusieurs saisons déjà avec la marque britannique « Sarto-cool » Drake’s, Teddy Santis met en pratique son idéal ralphlaurenesque d’un label qui n’hésite pas à bousculer les codes en place. Si ALD apporte à Drake’s un supplément de nonchalance, c’est bien l’esthétique soft-tailoring à l’anglaise qui donne au streetwear new-yorkais une nouvelle maturité.

aime leon dore drake's collaboration teddy santis
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Aimé Leon Dore : du streetwear authentique à la fabrique du « cool » ?

À l’heure des micro-tendances passagères, quelle place pour cette culture portée par Aimé Leon Dore ? De cette volonté d’ancrage stylistique dans un New-York qui évolue en permanence. Que penser de cette mécanique bien huilée qui inonde internet de lookbooks léchés à chaque nouveau drop ? Et derrière les discours d’intention et la maitrise visuelle, que valent réellement les fringues vendues ?

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« In the know »

Sincérité, désaveu du streetwear « traditionnel » et de ses logiques consuméristes délétères et court-termistes… Si toutes ces valeurs prônées par Teddy Santis transparaissent effectivement dans son travail, peut-on réellement affirmer qu’Aimé Leon Dore serait une marque qui ne connaitrait pas les affres de la hype ? La réponse est évidemment négative. Il est bien difficile d’échapper à la culture hypebeast en se revendiquant de la culture streetwear, et peu importe ses intentions premières.

aimé leon dore hype
reddit.com

On ne choisit pas ses clients, après tout. Dont ces hypeux « à la retraite » qui campaient devant Supreme en 2010 et qui se tournent maintenant vers Noah, Kith et Aimé Leon Dore, peut-être convaincus eux-aussi par cette promesse d’une marque street un peu plus « real » que les autres. Un marketing de l’authenticité qui est, il est vrai, cette fois assez subtil pour un milieu habitué à des pratiques parfois douteuses. Si Teddy Santis déclarait « qu’il n’était plus cool d’être cool aujourd’hui », il est en tout cas bien difficile de fermer les yeux sur tous les paradoxes qui entourent son label à l’heure du récent rachat de parts (minoritaires) par LVMH.

La séduction des images

La question de la hype, qu’elle soit très consciemment alimentée ou au contraire « subie », nous amène inévitablement aux reproches classiques faits aux marques de la trempe d’Aimé Leon Dore. Quid de la qualité, une fois que le client s’est offert son petit rêve bien emballé après deux heures de queue à manger des pâtisseries grecques ? D’abord animé par l’idée de proposer un streetwear « différent » et de contrôler au mieux sa production, Teddy Santis a dans les premières années veillé à faire fabriquer à New York et en Italie, ou encore à sourcer certaines matières au Japon. On ne peut pas vraiment en dire de même aujourd’hui.

aime leon dore foulard fleece jacket teddy santis
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Reste néanmoins le soin apporté aux collaborations avec de belles marques, avec effectivement moins de made in China quand ALD travaille main dans la main avec Drake’s. Il faut toutefois souligner que si la qualité des vêtements Aimé Leon Dore n’a rien d’exceptionnel, on est bien loin des standards des marques sporstwear américaines grand public.

trucker jacket aime leon dore teddy santis
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Ce qui est la moindre des choses, mais aussi suffisant pour beaucoup. En dehors de la hausse significative des prix, et d’un service client difficile à qualifier de « bon » d’après une poignée d’expériences personnelles, le vrai problème reste l’intérêt de certaines pièces en elles-mêmes. Il ne reste parfois plus beaucoup de la magie des images à l’ouverture du colis.

Le « nouveau Ralph Lauren »

aimé leon dore londres soho
Nouvelle boutique ALD ouverte à Londres l’été dernier
bosshunting.com

Il semblait juste de conclure cet article en reprenant une phrase très souvent prononcée : « Aimé Leon Dore est le prochain Ralph Lauren ». Une comparaison facile qui semble pourtant tout de suite moins pertinente une fois qu’on prend un peu de recul. ALD n’est pas un marque mainstream. Teddy Santis ne veut pas du grand public. Et si cela n’empêche pas le label new-yorkais de faire rêver toute une génération d’ultra-citadins à travers le monde, peut-on réellement établir une comparaison pertinente avec l’oeuvre de homme qui a incarné le rêve américain à lui seul ?

SSense: In the 90s, brands like Ralph Lauren and Tommy Hilfiger accidentally played a huge role in streetwear.

Teddy Santis: The truth is that the hood was paying their bills for a long time and they never acknowledged it.

Teddy Santis pour SSense
aimé leon dore spring summer 19 collection teddy santis
aimeleondore.com

Ce qui semble plus certain avec Aimé Leon Dore, c’est que Teddy Santis a réussi à durablement mettre sur le devant de la scène une « sous-culture » du vêtement longtemps dénigrée, moquée et jamais acceptée par des marques qui n’ont jamais voulu reconnaitre l’influence de la rue quant à leur désirabilité. Le mode de vie des « bricoleurs » a remplacé celui des WASP. Le basket de rue a supplanté la crosse et le golf. L’informel d’hier est le formel d’aujourd’hui.

Le mot de la fin

Si Aimé Leon Dore n’est peut-être pas la marque à même d’incarner à elle-seule la mode masculine contemporaine sur le long terme, on ne peut pas nier son influence actuelle dans le paysage du streetwear et plus largement du casualwear américain. Il suffit de faire un tour sur le site d’Abercrombie ou de tomber sur certaines campagnes publicitaires chez Zara pour comprendre quelle est la direction à suivre.

abercrombie 90s style rebranding
Aimé Leon Fauché
abercrombie.com

Le revers de la médaille ? Peut-être l’inévitable naissance d’un sentiment de « trop-plein », alors que cette patte esthétique autrefois si singulière est maintenant inlassablement copiée et déjà dévoyée. À l’aube de la lassitude, rien ne semble pourtant être en mesure de contredire un futur qui s’annonce définitivement comme streetwear-chic.

Par Nicolas

Fatigue pour les intimes.

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