Dans mon premier article, je vous avais parlé de l’esthétique « antifashion » introduit en 1981 à Paris par les japonais Yohji Yamamoto et Rei Kowakubo.
Leurs défilés furent un événement déterminant dans le monde de la mode. Car en bouleversant les principes conventionnels de beauté, de couleurs et de construction des vêtements, ces deux créateurs ont brisé les frontières de la mode et donné naissance à un vaste courant chez les designers de mode : l’avant-garde.
Vous connaissez sûrement ces créateurs avant-gardistes tant ils sont nombreux. On peut citer Martin Margiela, Ann Demeulemeester ou Helmut Lang en Europe ; les japonais Jun Takahashi et Junya Watanabe ; sans oublier l’américain Rick Owens.
On peut considérer le style avant-gardiste comme une forme de contre culture appliquée à la mode, dans le sens où son esthétisme s’oppose à ceux des différents styles classiques dominants.
La tenue d’aujourd’hui s’inscrit dans ce style et à travers elle je vais vous parler de quelques notions qui me paraissent intéressantes pour mieux appréhender ce style.
Silhouette et proportions
Commençons par la silhouette. Bien que le loose fitting soit devenu assez répandu actuellement, il fut proposé initialement par Yamamoto et Kowakubo pour s’opposer au style classique européen de l’époque.
Imaginez un costume homme classique accompagné d’un pardessus. Rappelez vous des proportions qui se calquent sur ceux d’un corps masculin. Dans cette tenues, les principes de l’art tailleur sont transgressés. Le volume de chaque vêtement est libre de la forme du segment qu’il habille. Le tronc est allongé par la chemise longue tandis que les jambes semblent raccourcies par une fourche basse. Le caractère oversize tend à effacer les formes du corps, si bien que l’ensemble pourrait tout à fait être porté par une femme.
Du côté des couleurs, la palette est très réduite. Le noir est la couleur dominante comme souvent dans ce style.
Norwegian Rain est un label « techwear » spécialisé dans les manteaux de pluie. Parmi leurs modèles d’inspiration « tailoring », leur « Raincho » se situe à part. Il semblerait que leur créateur T-Micheal se soit inspiré d’une haori, veste traditionnelle japonaise qui se porte par dessus un kimono. Il en résulte un manteau complètement déstructuré, au volume considérable et dont le drapé aléatoire apporte naturellement de l’asymétrie à la tenue. Toutes ces qualités proviennent du fait que dans l’art tailleur traditionnel japonais, l’espace vide entre le vêtement et le corps, le « ma », est considéré comme un élément essentiel.
Le pantalon a été la pièce la plus longue à trouver pour composer la tenue. Il me fallait du volume et une forme qui s’harmonisent avec l’ensemble veste et chemise toutes les deux coupées en « A ». Je me suis dirigé naturellement vers les labels japonais. C’est finalement chez Klasica que je me suis arrêté, séduit par la matière rustique (un herringbone en laine et lin).
Vous n’aurez aucun mal à deviner que la veste provient d’un label artisanal, tant l’aspect de ce tissu en lin sort de l’ordinaire. Klaus Plank, le créateur de Bergfabel, rend hommage à la région de son enfance, le Sud-Tyrol, en s’inspirant des vêtements que portaient les fermiers de ces montagnes.
La chemise Casey Casey que vous connaissez déjà de la tenue précédente, présente un tissu particulier à l’aspect papier. Elle apporte une texture froissée de bon ton avec le reste de la tenue.
Bien que Guidi soit une entreprise familiale qui existe depuis plus d’un siècle, ce bottier italien a su perpétuer sa tradition artisanale tout en gardant un esprit avant-gardiste. L’aspect altéré et patiné de la chaussure est leur marque de fabrique. Il est dû à un processus combiné de teinture et de lavage de la chaussure déjà montée.
Imperfection et norme
Pour finir, je vais vous parler de la notion qui me parait la plus importante : l’imperfection. Nous avons vu l’asymétrie et le drapé aléatoire du manteau. Les matières rustiques de la veste et du pantalon et l’aspect vieilli des bottines donnent l’impression de vieux vêtements portés depuis des années.
Au-delà du concept japonais de Wabi-sabi qui est de voir la beauté dans toutes choses usées, cassées ou imparfaites ; l’imperfection est inhérente à toutes chose naturelle. Ainsi l’être humain est imparfait de nature. Par opposition, la perfection ne serait à mon avis qu’un concept artificiel et dominant dans nos sociétés modernes.
Cette tenue invite à vous éloigner de la norme et vous suggère d’être le marginal ou le vagabond, comme dans la chanson de Nina Simone M. Bojangles « in worn out shoes, ragged shirt and baggy pants », plutôt que le businessman en costume cravate.
Voilà pour aujourd’hui ! J’espère que l’article vous a plu !
Merci à Boras et Julien pour les photos !
A bientôt !