Voilà la deuxième saison que le designer californien Evan Kinori — un nom récurrent et incontournable dans le paysage de la sape contemporaine, que je ne te ferai pas l’affront de présenter à nouveau — collabore avec l’entomologiste et cotton breeder américaine Sally Fox, figure pionnière de l’agriculture biologique aux États-Unis, à l’origine de l’appellation brevetée « FoxFibre® », que tu as peut-être déjà croisée au fil de tes sessions lèche-vitrine. Un partenariat qui relevait de l’évidence entre deux grands amoureux des couleurs « terre ». Il se poursuit cette saison avec l’appui de la marque japonaise orSlow pour le lancement d’une nouvelle déclinaison d’un très réussi Wide denim exclusif introduit (en version raw) l’hiver dernier.

Mais ne nous précipitons pas sur la page produit. Il reste encore du stock à l’heure où j’écris ces lignes. L’occasion de parler (enfin) du travail de Sally Fox, et de ce qu’elle représente aujourd’hui pour la mode de niche.
Quelques mots sur l’histoire du coton FoxFibre®
Entomologie, c’est l’étude des insectes. Cotton breeder, le terme qui nous intéresse davantage ici, désigne le métier qui consiste à sélectionner et croiser différentes variétés de coton pour obtenir une fibre à la fois belle et performante. Une plante qui résiste mieux aux maladies et aux nuisibles, qui possède des propriétés naturelles intéressantes (anti-bactériennes, anti-UV…), qui contient peu d’impuretés et, surtout, dont les fibres sont longues. C’est ce qui définit, avant tout, un « beau » coton.
Vient ensuite la question de la teinte. Idéalement la plus proche possible du blanc, pour pouvoir être exploitée industriellement de manière plus efficace et plus rentable. Et c’est justement là que se distingue l’approche de la scientifique américaine. Sally Fox n’est pas une « sélectionneuse » comme les autres : dès le début des années 80, elle défend une vision à contre-courant de l’industrie textile conventionnelle. Son idée est simple : promouvoir la culture de coton naturellement coloré, afin d’éliminer purement et simplement l’étape de la teinture — la plus polluante du cycle de production textile. Un pari loin d’être absurde à l’époque, dans une ère qui ne connaissait pas encore les joies de la délocalisation. Car il était très coûteux de gérer le traitement des teintures toxiques résiduelles. C’est à dire tout ce qui n’avait pas accroché aux fils et aux matières.

De Levi’s à Evan Kinori
Dix ans de travail préliminaire seront nécessaires à Sally Fox pour viabiliser son projet, concrétisé avec le lancement de FoxFibre®. L’idée : transformer des variétés de coton coloré « sauvage », jusque-là jugées peu séduisantes par l’industrie (fibres courtes, faible rendement), en de beaux cotons hybrides de grande qualité, notamment par des croisements avec les luxueuses variétés Pima et Sea Island. Elle parvient aussi à développer une palette étonnamment riche, allant de bruns profonds (parfaits pour facilement obtenir du noir) à des verts très pâles. Des mastodontes comme Levi’s et L.L.Bean s’intéressent à son travail et passent commande. Sally Fox contribue alors à poser les fondations de ce qu’on appelle aujourd’hui l’industrie du coton biologique.
Mais la suite est un peu triste. L’industrie textile américaine se tourne vers l’Asie. La problématique de la teinture n’est plus : il coûte bien moins cher d’aller pourrir les rivières et nappes phréatiques des pays émergents que de traiter les résidus chimiques sur place. Sally Fox se retrouve avec ses champs et ses entrepôts pleins, mais sans débouchés. Le marché prometteur qu’elle venait de créer à elle-seule, celui du coton naturellement coloré, s’effondre dans la foulée. Pourtant, elle s’accroche. De salvatrices filatures japonaises, sensibles à son approche, lui permettent de continuer à produire à bien plus petite échelle en Californie. Une activité fragile, notamment conditionnée par de très forts coûts financiers liés à la recherche, qui nourrit aujourd’hui les initiatives les plus exigeantes des marques confidentielles.

Evan Kinori x orSlow x Sally Fox : l’espoir d’hier est le luxe d’aujourd’hui
Il y a, je trouve, quelque chose de doucement amer dans cette nouvelle sortie Evan Kinori. Un sentiment que j’ai aussi chez Studio D’Artisan, Wonder Looper ou Dana Lee Brown. Car le coton FoxFibre®, et l’espoir porté par Sally Fox, n’ont jamais vraiment percé au-delà des cercles d’initiés. Ce qui devait être une véritable alternative accessible, écologique et durable, est devenu un produit d’ultra niche. Désormais synonyme de luxe. Mais c’est un (nouveau) début. On peut facilement faire le parallèle avec l’essor actuel des teintures naturelles — où des marques comme visvim ou Buaisou continuent de tracer la voie. Difficile pour moi de m’attarder sur le négatif concernant cette nouvelle appétence pour l’artisanat et une mode plus « humaine ».





Tu peux retrouver dès maintenant la collaboration Evan Kinori x orSlow, supplément FoxFibre®, sur le site de la marque. Mention spéciale aux chaussettes qui vont avec.