J’ai toujours eu une marinière dans mon vestiaire. Je ne sais pas trop pourquoi. Comme une évidence, comme si j’étais sorti du fantasme de l’Américain moyen, d’un starter pack « devenir une Parisienne », ou que je revendiquais inconsciemment une identité bretonne. C’est même l’une des premières pièces « chères » (de mon point de vue de béotien) que j’ai achetées avec mon propre argent : le modèle le plus classique de chez Armor Lux.
Des années plus tard, quand j’ai commencé à m’intéresser plus sérieusement aux vêtements, j’ai inévitablement découvert les propositions d’Arpenteur. Marque qui revendique une approche traditionnelle du tricot, notamment avec le jersey dit « Rachel ». Confectionné sur les impressionnants métiers rectilignes du même nom qui, contrairement aux métiers circulaires (les plus répandus), permettent de tricoter des motifs complexes et d’obtenir une maille singulière : en l’occurence la matière originelle de la marinière réglementaire de la Marine Nationale française.
Je n’avais pas prévu de tomber dans le cliché caban et jean brut, à une ère post-#menswear, mais la subtilité n’était pas encore au rendez-vous. Une main invisible m’avait poussé vers un nouveau non-choix : fines rayures bleu sur fond blanc. Coupe ample et matière singulière, certes. Mais on pouvait difficilement faire plus marinière que ça. Sauf peut-être chez Orcival ou Le Minor.
Et je dois l’avouer, maintenant qu’il y a prescription : je n’aime pas cette marinière que je n’arrêtais pas d’acheter malgré moi. Il me semble qu’il y a toujours quelque chose du déguisement dans cette pièce. Ou du vote à droite, comme tu préfères. Il est d’ailleurs très français d’aller rappeler aux Américains que personne ne porte vraiment ça dans la vraie vie. Enfin… sauf les Japonais. Mais eux, c’est tout à notre avantage : le sujet du t-shirt, ils le prennent au sérieux.
Rayures franco-japonaises
Au programme : trois « marinières », trois visions différentes, trois tenues.
Arpenteur et l’authentiquement modeux
Rien ne vaut une marinière pour en oublier une autre. Mon premier achat chez Arpenteur n’a pas été le dernier : au fil des années, j’ai fini par collectionner leurs pièces en maille « Rachel ». J’ai délaissé l’archétype, préférant des coloris moins destinés aux rassemblements régionaux qu’aux expérimentations workwear-chic. L’une de mes préférées est noire — ou bleu nuit, la différence n’était pas évidente chez les Lyonnais à l’époque — à rayures blanches, manches trois-quarts, achetée en 2022. Trois ans plus tard, je la porte encore très régulièrement, même si mon vestiaire a beaucoup évolué.
Je ne sais pas si la peu commune maille « Rachel » à l’intemporalité du denim, mais elle m’est plus intéressante que l’habituel jersey. D’abord par cette impression de solidité propre aux matières workwear, à l’opposé de la souplesse attendue d’un t-shirt contemporain (sauf pour les acharnés qui portent du Wonder Looper). Une vraie structure, mais un tricotage relativement aéré. Le rendu est brut, mais avec du drapé, et ça vieillit bien (à condition de ne pas laver trop fort et de sécher à plat).

La marinière chez Arpenteur est à la fois authentique et modeuse. Tu peux la porter comme n’importe quelle marinière. Ou plutôt comme moi. Trop lourde pour un été hors Bretagne, mais ample, avec un léger drop shoulder et un tombé un peu slouchy. Précieux, mais pas vraiment. Tout ce que j’aime. Je la porte ici avec un cargo de la même marque, ma paire de Camion boots Our Legacy, et une veste Zara à col montant qui me permet d’illustrer l’évidence : les rayures ça fonctionne très bien en layering.


Innat pour une marinière oversize
Assez de chauvinisme, passons à la terre promise de la sape avec Innat. Une très jeune marque japonaise fondée en 2021 par Ryona Tani, que j’ai découverte avec la marinière dont on va parler maintenant. Je ne vais donc pas jouer au connaisseur, mais simplement partager mon ressenti à chaud.
Innat évolue dans un univers proche de ce qui me plaît actuellement dans le paysage de la mode japonaise : ce courant artisan-chic qui privilégie les matières et teintures naturelles, les coupes et pièces unisexes souvent empruntées au vestiaire militaire et, évidemment, au workwear. Mais avec une DA qui penche clairement plus du côté casual du spectre que ce que je porte au quotidien. Ou, pour le dire autrement : on est ici bien plus proche d’un Story MFG que d’un Auralee.
L’occasion de sortir de sa zone de confort avec une marinière qui n’a plus grand-chose de bretonne. Déjà par le nom : « Basque LS Tee ». Je ne me souviens pas avoir vu de cityboy à Bayonne, mais passons. Et surtout, immédiatement, par le feeling en main : un jersey très doux, léger et extensible, grâce à l’utilisation d’un coton untwisted. Autrement dit, des fils non torsadés, pour préserver le gonflant naturel de la fibre et ce côté « moelleux ». Une approche que l’on retrouve souvent chez les marques japonaises haut de gamme qui cherchent à sublimer les plus beaux cotons : Suvin, Sea Island, Finx… Je le disais : au Japon, le t-shirt c’est du sérieux.


Et bien sûr, le travail sur la matière se prolonge dans la coupe et le souci du détail. L’oversize, ce n’est pas seulement faire la même pièce en plus grand. Et ça, tu le comprends en essayant. À plat, tu pourrais croire avoir confondu ton tee avec ton drap-housse. Mais porté, tout tombe parfaitement. C’est slouchy, bien plus que chez Arpenteur, mais pas négligé. Le pattern matching est impeccable. Le col marin — ou bateau — est renforcé de petits empiècements sur les côtés, comme des hirondelles utiles, qui le maintiennent en place. La longueur arrière, légèrement plus grande que l’avant, contribue elle aussi à un meilleur tombé.

Cette tenue n’est pas très automnale, je voulais surtout te montrer la marinière. Mais tu peux facilement imaginer un cardigan ample par-dessus.
Polyploid, le juste équilibre
J’aime garder le « meilleur » pour la fin : terminons avec la proposition de la marque allemande Polyploid. Du côté japonais de l’Allemagne, pour être précis. La majeure partie de la production est made in Japan, et la marque est à vrai dire très peu connue en dehors du Japon.
Tout son concept repose sur l’itération : la variation à partir d’une même silhouette. Concrètement, une pièce est d’abord proposée dans une version « A », la plus épurée, souvent blanche et non teinte. On est alors proche de ce que l’on appelle en couture le « calicot » : un coton grossier et bon marché utilisé pour réaliser un patron avant de passer à la matière définitive. Puis viennent les versions « B » et « C », où la même pièce est transformée par la matière, la couleur ou les motifs.

La marinière que je te présente ici n’est donc pas à proprement parler une marinière. Bien sûr, il y a l’évidence : les rayures ne sont pas réglementaires, elles sont même propriétaires, un motif singulier développé exclusivement pour la marque. Mais la pièce elle-même n’est pas pensée comme une marinière. Les rayures sont ici une expérimentation, une itération d’un simple tee à manches longues dont on a au préalable perfectionné la forme. Et le résultat est « autre chose » : un tee émancipé, malgré un faisceau d’indices. Un large col ribbed qui évoque le col bateau par son envergure, la belle rondeur du pan arrière, plus long comme chez Innat, et un jersey de coton lourd et rigide, sans être précieux. Polyploid réussit quelque chose de fort : un t-shirt à rayures qui semble à la fois familier et inconnu.
Je trouve le fit parfait. Subjectivement parfait, pas comme chez les vendeurs de tapis de la sape. Il y a ici un équilibre que je cherche toujours dans mes fringues : une ampleur maîtrisée qui paraît naturelle et crée une silhouette alternative nette. Une justesse que je retrouve si souvent chez Auralee, et qui explique mon choix pour le pantalon. Mais voilà l’art de se contredire : tout est tellement précis que je ne peux m’empêcher de rompre l’harmonie en enfilant mon manteau oversize Studio Nicholson. Le chino suit le mouvement et casse sur mes Tricker’s « Woodstock », rustiques et élégantes, elles aussi inclassables.


Quelques autres marques à privilégier pour une marinière ou t-shirt à rayures
Si je t’ai donné soif de rayures, marines ou non, tu peux également regarder chez Batoner, la marque de maille à connaitre au Japon. Il y a aussi Still by hand, Auralee, nanamica, Graphpaper, Markaware… J’en oublie très certainement ! À la prochaine.