Comme vous, j’aime les vêtements de qualité conçus pour durer au fil des années. Le temps (les erreurs notamment), les médias comme celui-ci et les forums m’ont appris à faire le bon choix : belles matières, bonne coupe, engagement ou valeurs de la marque.
A la différence d’avant, aujourd’hui j’ai peu de vêtements. J’achète moins mais mieux, ne garde que ce qui me convaincs à 200% pour ensuite porter/poncer ces pièces au maximum. Je remarque aussi une évolution dans la manière de considérer le vêtement. Au début je le sacralisais et l’idée d’endommager un habit neuf m’effrayait (ce qui avec du recul me parait complètement ridicule).
En réalité, j’avais peu de connaissances et pour la faire courte je pensais que l’objectif était de conserver le plus longtemps une pièce dans son état d’origine. J’en étais là… De ce fait, je ne prenais aucun plaisir. A l’inverse c’était même une charge mentale en fin de compte, chose plutôt anormale.
Ce n’est que depuis quelques années qu’une évolution s’est opérée. Désormais, lorsque j’acquiers un vêtement et qu’il passe l’étape de la validation, je le laisse vivre sans y prêter trop attention. Les tâches, les accrocs sont des marques qui contribuent à la singularité d’une pièce. Tout comme l’usure et la patine que je recherche volontairement à présent.
« Repair, don’t replace »
Et justement, dernièrement le camarade 501 a montré des signes de faiblesse. Lui, c’est vraiment un pote, la seule pièce avec laquelle j’ai un lien affectif. A première vue ça peut sembler bizarre mais non. Explications.
Ce jean n’est ni rare (il suffit d’ouvrir Vinted) ni particulièrement beau MAIS il m’est très cher car c’est lui qui m’a montré la voix vers plus de comfort et vers des coupes plus amples. Rien que ça!
C’est également mon premier achat textile en seconde main. D’autres ont suivi et ça ne se limite pas qu’aux vêtements. La seconde main me tient à coeur dans ma consommation quotidienne étant donné les enjeux actuels éthiques comme climatiques.
Pour ces raisons, Je ne pouvais me résoudre à lui dire « Adios compadre ». Dans un premier temps j’ai fait l’autruche et l’ai ménagé. Malgré les efforts déployés les trous aux genoux se sont vite agrandis.
J’ai donc fait réparer une première fois (chez le/la couturier(e) du coin) pour un résultat décevant. Après quelques mois je me retrouvais à nouveau les genoux à l’air.
C’est à ce moment là que l’idée de voir ce jean non seulement réparé, mais plus important encore, personnalisé et singularisé m’a séduite. J’avais lu ici et là des articles au sujet du Sashiko et ça m’est alors apparu comme la meilleure option.
Je ne vais pas revenir sur le Sashiko en tant que technique, Bo l’a déjà bien expliqué dans son article sur l’histoire de la Noragi
Malheureusement, on ne s’improvise pas les talents d’Antoine en matière de DIY et je manquais de temps dans l’hypothèse où j’aurai souhaité le faire moi même.
En parallèle, une autre solution était possible. Il y a un an et demi, peu après notre installation à Amsterdam nous avions visité le festival https://www.amsterdamdenimdays.com/ams/ qui regroupe sur quelques jours les acteurs locaux du denim. J’y avais découvert le travail de Pey, aka @sashikodenim sur Instagram.
Une prise de contact sans prise de tête
Ses créations m’ont immédiatement parlé et laissé admiratif mais je regardais ça de loin en me disant “un jour peut-être”.
Retour en 2021, le jour en question est arrivé. J’écris à Pey via Instagram pour lui faire part de mon projet. On échange et il m’amène peu à peu à partager les informations dont il a besoin pour travailler. Le plus important étant de lui envoyer des photos du jeans et notamment des zones endommagées mais aussi de préciser votre souhait quant au rendu final.
Par exemple, est-ce que vous préfèrez l’utilisation du patch à l’intérieur du tissu avec les points de coutures visibles sur l’extérieur une fois la réparation faite ou l’inverse (à savoir, la pose du patch directement sur la partie extérieure) ? Perso, j’ai demandé à Pey de faire les deux. Après quoi, il m’a envoyé une maquette pour valider ce choix.
Pas grand chose à dire de plus tant le dialogue est facile et naturel. Evidemment on parle du prix, puis vient le moment de lui expédier le colis et d’attendre patiemment quelques semaines.
Avant de vous montrer le résultat en détail je me suis dit que ça pourrait être intéressant de lui poser quelques questions et de partager ses réponses ici pour mieux comprendre son taf et son état d’esprit.
Questions/ réponses avec Pey aka Sashikodenim
> Salut Pey, peux-tu te présenter et nous dire ce que tu fais aujourd’hui ?
Pey, 33 ans et père de deux enfants. Je raccommode des jeans avec mon savoir-faire basé sur la technique Sashiko. Tout a commencé le jour où l’un de mes jean favoris a lâché au genou. Il avait coûté un certain prix et je ne voulais pas me résoudre à m’en séparer. Je me suis donc plongé dans un travail de recherche autour de la réparation et du renforcement des matières & vêtements. Je suis alors tombé sur le Sashiko et j’ai très rapidement été fasciné par cet art. Pour réparer ce premier jean, j’ai utilisé sa 5ème poche pour reprendre le trou au genou. Depuis ce jour, je défends l’état d’esprit “repair don’t replace” (réparer plutôt que remplacer).
> Quels sont les outils qui t’accompagnent au quotidien dans ton métier ? Dans quelles conditions aimes-tu travailler ?
Ma boite à outils est assez simple : une aiguille et du fil bien sûr, mais aussi un dé à coudre, un coupe-fils, une paire de ciseaux et bien évidemment le plus important reste encore le bon jean usagé qui recevra mon attention.
Je n’utilise que de vieilles chutes de denim pour réparer les pièces qui me sont confiées. C’est en fonction de l’usure du jean et des tons de couleur que je vais choisir le tissu qui me semble le plus adapté et réfléchir à la manière dont je vais intervenir. Le rendu final est visuellement plaisant car c’est le résultat d’une réparation minutieuse, artisanale qui repose sur l’attention au détail. Je travaille chez moi où j’ai aménagé un studio. C’est un endroit calme et paisible. Chaque réparation représente des heures et des heures de coutures, c’est vraiment artisanal, manuel, une couture après l’autre. C’est pour cette raison que chaque projet prend du temps et que j’ai des délais parfois assez longs.
> Sur ton Insta on peut voir les nombreuses pièces qui sont passées entre tes mains. Et on y voit aussi une diversité notamment dans l’usure des vêtements et les couleurs. Y a t-il un type de vêtement sur lequel tu préfères travailler ?
Les projets les plus excitants naissent toujours à la réception d’un jean très usé qui occupe une place particulière dans le coeur du porteur. Le plaisir dans mon métier c’est aussi de parler avec cette personne, d’apprendre à se connaître, à partager autour du jean en question. On reste aussi souvent en contact avec cette personne dans le futur. Ça arrive de travailler à nouveau sur la même pièce à plusieurs reprises pour la faire durée dans le temps.
Généralement mes clients deviennent mes amis car on partage le même l’état d’esprit et la même passion du produit. De nombreux jeans me reviennent chaque année. Pour te donner un exemple, j’ai vu passer tellement de fois les jeans de Jay, Akhi, Jeff et Josha ces dernières années que leurs jeans doivent avoir 10 000 points de couture.
> J’avais vu une interview dans laquelle tu expliquais en quoi l’art de l’imperfection infuse la technique Sashiko. Tu peux en dire plus ?
Dans ce monde moderne du laser et du robot, la perfection c’est l’objectif ultime pour la grande majorité.
Mais le sashiko c’est une technique dont le rôle central est encore occupé par l’humain et l’imperfection la différencie justement du monde industriel et standardisé.
Au tout début, je m’appliquais davantage pour que tout soit carré, droit, parfaitement mesuré. Mais en comparant le résultat au travail que je fais à présent, plus à l’instinct, il n’y a pas photos. L’imperfection apporte de l’âme à la pièce.
> En moyenne, combien de temps passes-tu sur un jean ?
La première “réparation” est toujours la plus difficile. Très souvent il s’agit de l’entrejambe qui est endommagé. Une petite réparation peut prendre 15 à 20 minutes quand la pause d’un patch avec un motif assez détaillé sur un genou peut demander jusqu’à 3 heures. C’est une technique qui demande une pleine concentration et qui peut même te faire rentrer dans un état méditatif.
> Dans nos échanges tu m’a parlé d’une collaboration avec une marque que l’on connaît bien ici et que l’on apprécie, peux-tu en toucher deux mots ?
Après y avoir réfléchit pendant longtemps, je me suis enfin décidé à contacter Phil et Alexis de Phi Denim par l’intermédiaire de mon bon ami Stephan (l’un de mes premiers clients). J’admire la façon dont Phi Denim innove dans un secteur assez traditionnel. On a vraiment le même état d’esprit et une vision commune. Après avoir réalisé quelques prototypes nous avons créé une toile qui va bien vieillir, avec de belles moustaches décolorées qui vont se dessiner sur le tissu (teint à l’indigo) dès qu’il sera usé (c’est un 16 oz donc il va falloir le faire au début).
Par la suite, il y a de fortes chances pour qu’il devienne le compagnon idéal, d’autant plus une fois que vous l’aurez fait reprendre après quelques années de bons et loyaux services. Alors, il deviendra une oeuvre d’art vestimentaire qui se bonifiera dans le temps à mesure que vous le poncerez.
> A titre personnel quels sont les styles, pièces ou détails qui comptent pour toi ?
La qualité du produit avant tout. Innover, ne pas imiter. J’aime bien l’idée de l’uniforme car je n’ai pas vraiment envie de passer trop de temps à réfléchir à ce que je vais porter. Généralement c’est mon Phi Denim 16oz ou un jean made in Japan coupe droite réparé il y a déjà un bon moment. Pour ce qui est du haut, j’aime porter des sweats noir ou navy en laine. Mes pieds je les glisse la plupart du temps dans une paire de sneakers faite main qui est une de mes collab avec Peterson Stoop.
Mon retour d’expérience
Ce qui m’a frappé en premier lieu : ce jean a maintenant un surplus d’âme. Le fait de savoir que Pey y ait consacré du temps et y ait appliqué son savoir-faire ne laisse pas indifférent. Un peu comme un meuble fabriqué ou réparé par votre grand père, vous voyez le feeling ?
Par ailleurs, d’un point de vue esthétique c’est également autre chose, quand on aime visuellement le Sashiko. Ce qui change c’est vraiment le côté singulier, ce qui à mon sens est plus qu’intéressant à une époque où jamais autant d’humains n’ont porté les mêmes fringues. Mais ce n’est pas tout. Le jeux des matières, des couleurs et des textures est assez surprenant (voir ci-dessous).
Maintenant d’un point de vue un peu plus rationnel et technique, le résultat est très satisfaisant. C’est conforme à la maquette que Pey m’a envoyé.
- Sur la toile extérieure du genou droit, Pey a utilisé deux patchworks différents côtes à côtes. L’un plus grand et bleach sans délavage, quant à l’autre il est plus petit de taille et de couleur brute. J’aime beaucoup le jeu de tailles et de couleurs qui ajoute au côté imparfait / asymétrique décrit par Pey plus haut. Les patch sont d’une belle épaisseur (quelques mm), ça apporte clairement du relief au regard et au toucher vis-à-vis du reste de la toile quasi élimée. Pour finir les points en croix apportent aussi du motif et du contraste.
- Comme prévu, le genou gauche a reçu sa greffe côté intérieur de la toile et laisse apercevoir les points de coutures sur la partie extérieure. Le rendu est plus discret mais tout aussi intéressant quand on regarde de plus près : la toile d’origine n’est pas « dénaturée » mais protégée/ renforcée par un nuage carré de points de coutures. Elle est comme figée prête à repartir pour un tour avec pour toile de fonds une toile brute (difficile à voir sur la photo). A nouveau, un subtil jeu de couleurs/ relief.
- L’entrejambe a reçu le même traitement que le genou gauche. Pey a volontairement couvert une surface assez importante, bien plus que les trous en formation. Ca me plaît bien là aussi, non seulement le renfort est plus important mais il est par la même occasion plus visible. Chose que je recherchais.
- En bonus, j’ai été agréablement surpris de voir que Pey a également consolidé quelques zones faibles dont on n’avait pas parlé ensemble. C’est le cas sur l’avant du jean, au niveau des poches sur les encolures qui touchent les rivets. Mais également sur les coins des poches arrières.
- Dernier point : chaque pièce est renvoyée avec un scellé pour authentifier du travail unique réalisé sur le vêtement. Il s’agit d’un scellé en acier et donc vraiment costaud. Pour l’enlever il est conseillé d’utiliser une vraie pince à couper plutôt qu’une simple paire de ciseaux qui risquerait d’y laisser sa peau. La partie en plastique affiche le numéro de scellé. Je dois dire que cet élément nouveau sur le pantalon m’a surpris au début. Mais après réflexion, j’ai souhaité le garder. D’une part car la plupart de mes hauts sont assez larges et le couvrent donc aisément. D’autres part, pour un aspect plus pratique : la possibilité de l’utiliser comme porte clés. Peu esthétique penseront certains. Qu’importe, c’est tout à fait subjectif et la fonction première du porte clés n’est pas là.
Une tenue avec mon jean Levi’s 501 réparer et patcher façon sashiko
Pour finir, voici deux photos d’ensemble pour vous rendre compte du rendu général.
C’est clairement un bas qui peut se marier avec quasiment tout type de chaussures et de hauts. Ici, j’avais envie de l’associer aux Paraboot Michael que je viens de recevoir de chez Reforme (Merci Pierre). Et j’avais envie de les tester pieds nus.
Pour le reste, comme souvent je n’ai pas été chercher bien loin, un crewneck un peu large porté à même la peau. C’est un Uniqlo MAIS chopé à 5 euros sur Vinted (je me refuse à acheter cette marque en neuf). Par dessus, j’ai ajouté un gilet Vetra, qui rappelle le marron café des souliers. Les soirées sont encore fraiches ici aux Pays-Bas, « on supporte bien une petite laine » comme disent les anciens. Quelques accessoires pour dynamiser le tout. Évidemment le collier Borali, un key holder de chez laperruque et paire de lunettes de soleil sur le zen pour le faire venir après un printemps qui n’en était pas un.
Quelques mots de fin pour remercier Pey évidemment. Pour vous encourager à le contacter si vous avez déjà un projet de ce type en tête. Pour vous inviter à commenter cet article et à soit me poser des questions – je serai bien évidemment ravi de vous répondre et peut-être de vous éclairer sur certains aspects – soit partager votre retour d’expérience qui pourra en intéresser plus d’un (moi le premier).
Prenez soin de vous et de vos reliques (textile ou non) et surtout ne jetez rien. A très vite.
Crédit photos : Argentique Gal