Que différencie une tenue « simple » d’une tenue « basique » ? Pourquoi ces deux adjectifs, alors qu’il pourraient sembler interchangeables, décrivent des appréciations contraires ? J’aime assez la réponse du youtubeur américain Frugal Aesthetic qui traite le sujet, entre deux crises existentielles et une pub pour du parfum, dans une vidéo que j’ai récemment redécouverte : c’est l’intention qui compte. Ou plutôt les petites choses qui prouvent qu’une tenue a été « pensée ». Et non pas dont la simplicité est la conséquence concrète d’un évident désintérêt, total ou partiel, pour les fringues. Ou d’un mimétisme convoquant les assemblages les plus éculés du moment.
Et puis il y a une seconde question, sous-jacente, qui m’intéresse davantage : est-ce que toute tenue mérite d’être photographiée et exposée ? Il y a une dualité dans la pratique de l’OOTD (Outfit of the day). L’idée est de montrer ta « vraie » tenue du jour. Celle que tu portes pour sortir. Alors que l’acte (poser, se mettre en scène, se fabriquer une identité virtuelle) implique autre chose. Un effort supplémentaire, qui n’a rien de très naturel. Et voilà que l’on se retrouve avec des mecs qui organisent un shoot semi-pro pour leur fit d’intérieur. Alors que d’autres vont inonder internet de tenues jugées inintéressantes, mais qui affrontent pourtant rue, métro, bureau.
S’épanouir dans la simplicité
En faire toujours plus est constamment valorisé. Comme un devoir d’être « mémorable » dans l’océan d’informations qui lentement érode notre attention. Chaque photo, et donc chaque tenue, doit justifier sa propre existence. C’est une dynamique que j’aime bien, car elle invite à l’expérimentation. Elle façonne des ovnis, comme un WISDM. Et permet d’affiner son goût, de se construire un style vraiment à soi. Mais j’ai aussi le sentiment qu’on peut toujours creuser plus profondément. Et arriver fatalement au constat que ceux qui s’intéressent le plus sérieusement à la mode sont probablement « les plus mal sapés ».
Je trouve dans la recherche de simplicité un entre-deux agréable. Du plaisir égoïste, mais pas un ego trip. Une manière d’échapper à cette grande course aux armements. Un sweat gris, un tee blanc, un pantalon noir, une paire de sneakers classique. Que des couleurs neutres. Des pièces mille fois portées ensemble. Remplace le pantalon par un jean brut et on est plus très loin de la tenue de ton collègue circa 2013 (ou 2024…) qui voit le vêtement comme la meilleure manière de ne pas être nu. Bien sûr ce sont les pièces, choisies avec soin, qui font la différence. Par pour tout le monde, certainement. Mais pour moi, oui.
Raisonner par le détail
L’avantage premier de porter quelque chose d’immédiatement compréhensible, de déjà digéré, est de pouvoir s’émanciper sans trop faire de bruit. En pariant, par exemple, sur une silhouette non conventionnelle. Le pas de coté, c’est mon pantalon droit en coton washi de chez Aïdama. Je prends toujours autant de plaisir à le porter, depuis mon article écrit en juillet dernier.
J’aime sa manière de se faire oublier, de garder sa structure sans jamais se rappeler au corps. La rencontre avec des marques aux idées communes, inévitablement japonaises, en est facilitée. Et je ne parle pas d’Uniqlo U. Le raccourci est tentant, mais c’est pourtant un t-shirt Yoko Sakamoto que je porte ici.
Le principe n’étant pas d’acheter la même chose, mais « en plus cher ». C’est une critique parfois recevable quand on discute de fringues à gros logos, mais c’est ici passer à coté du propos. Quelque chose qui ne se traduit malheureusement pas bien en photo. Un coton de poids moyen, irrégulier, dans un tissage loopwheel qui change tout au tombé. Un beau col, dont le maintien et l’étroitesse autorise un jeu de layering. Avec mon sweatshirt gris, au col plus lâche. Celui-ci vient de chez Cale, marque japonaise très discrète dont j’ai fait l’éloge la semaine dernière. Encore une sape faussement familière. Le travail de l’épaule, avec ce drop shoulder très prononcé, est un premier indice.
S’approcher un peu, c’est lever le doute. La matière est superbe, mouchetée de noir et de blanc. Du coton mélangé avec de la soie. Très ample et léger, il fait oublier le lourd et désagréable coton du solide sweatshirt archétypal. Cale opte pour le raffinement, quitte à te déconseiller le passage en machine.
Ne voulant pas gâcher les efforts combinés des marques réunies ici, je ne m’encombre pas d’un sac. Mais d’un simple porte-carte en cuir grainé à passer autour du cou. ll vient de chez Hender Scheme, marque japonaise notamment connue pour ses reproductions haut de gamme des sneakers les plus emblématiques du marché. J’ai personnellement un faible pour sa petite maroquinerie, bien que je ne dirais pas non à une paire de german army trainers (modèle MIP-05) noire.
La « Samba » des élitistes. Ou des ringards, si tu fais partie de ceux qui ne peuvent pas les voir en peinture. Les miennes viennent de chez Reproduction of found, marque coréenne qui s’attache à honorer les sneakers militaires du monde entier. J’aurais pu me contenter d’une paire deadstock achetée trop chère en select-store. Mais l’appel du beau cuir, et d’une forme générale objectivement plus réussie, est plus fort. J’aime les porter avec un pantalon au leg opening imposant. Pas pour les cacher, je vois venir les médisants. Mais plutôt ancrer la tenue dans une certaine finesse, sans trahir l’esprit sportswear (précieux) de l’ensemble.
Basique ? Simple ? Basique et simple ? Je te laisse juger.