Quelle valeur accorder à une boutonnière cousue main, au cordonnet de soie contrastant ? À une teinture à la chlorophylle qui a, disons, moyennement adhéré à une toile des années 50 chinée aux puces ? Que faire de la logorrhée, quasi maniaque, entre le comique et l’inquiétant, d’un créateur qui ne parle qu’en superlatifs « maison » ? Et pourquoi payer 380 € pour un jean SuperStitch aux coutures (en apparence) foireuses, né d’une consigne donnée à des artisans japonais : « Désapprenez et travaillez comme si nous étions en guerre » ?
Se distinguer des marques mass-market et d’un luxe qui a rompu le lien entre objet et image, c’est accepter de cliver. Quitte à forcer le trait. Surligner, parfois gauchement, la trace de la main humaine à l’heure de l’IA. Produire du « non-sens » aux yeux du non-initié. C’est peut-être la seule façon pour que le jean selvedge, devenu symbole et donc signe de distinction, regagne ses lettres de noblesse : un excès de purisme salutaire dans un marché qui a vidé le denim japonais de sa substance en rendant consommable et marketable un produit, à l’origine, anti-capitaliste. Faux liserés cousus partout. Toiles banales distribuées à la pelle en fast fashion. Le selvedge est un logo comme un autre : sa finalité, sa raison d’être, c’est d’être vu à la cheville.
SuperStitch LR44 : jusqu’au-boutisme industriel
Voilà pourquoi je me surprends à regarder d’un œil neuf la « repro », moi qui penche d’ordinaire pour l’hommage et les réinterprétations contemporaines. Je préfère mille fois porter un jean orSlow ou Auralee plutôt qu’un TCB ou The Real McCoy’s ; pourtant, l’approche jusqu’au-boutiste d’un Taiga Takahashi et, ici, d’Arthur Leclerq avec SuperStitch me fascine. Dernière (re)création en date : le LR44, après les très réussis et populaires LR01 (base Levi’s années 70) et LR02 (plus ample, inspiration Levi’s années 50). Un modèle qui donne à voir, peut-être plus que jamais, la singularité d’une production selvedge « dans les règles de l’art ». Quand un produit aussi quotidien et accessible, fabriqué en masse et destiné aux décharges à ciel ouvert, peut être qualifié d’artisanal et d’industriel à la fois. La machine et l’opérateur en symbiose.
Car le SuperStitch LR44 est un jean très particulier, « clivant » pour reprendre le terme employé pour décrire une nouvelle génération de micro-marques dont il est souvent question ici. La volonté : produire un jean parfaitement imparfait, fidèle aux modèles fabriqués pendant la Seconde Guerre mondiale. À cette période, les rationnements et le manque de main-d’œuvre obligent les usines à faire au plus simple — donc au plus économe, en termes de temps de travail et de matières. Certaines opérations sont écourtées (poches redessinées, coutures de travers), d’autres supprimées (notamment les renforts : bartacks, rivets). Les matériaux employés diffèrent également (boutons, fils, etc.).
Dessiné à partir d’un original prêté par un collectionneur, le LR44 capture l’essence d’une époque singulière. La coupe d’abord : taille haute, jambe droite et ouverture de jambe généreuse — d’une actualité paradoxale. Puis la matière : un denim 13,2 oz unsanforized, tissé low-tension, avec une trame mêlant coton du Zimbabwe et coton brun. Patch en cuir au tannage végétal. Rivets en acier (oxydables). Coutures réalisées avec un fil développé pour l’occasion. Poches en chambray rayé ou en sergé chevrons type U.S. Army (HBT). Et, bien sûr, l’ourlet au point de chaînette, réalisé sur Union Special 43200G à l’atelier parisien du 13, rue Racine, comme signature une fois les jeans débarqués du Japon.
Il y a du charme dans ces poches aux courbes incertaines et dans ces boutons promis à la rouille. Les fils qui dépassent, un peu moins : on force le trait. C’est pourtant la preuve que tu as acheté ton jean au bon endroit.
