Tout est parti d’une rencontre. Celle de Melik, qui dirige Tricots Jean Marc. Petit-fils du fondateur de l’entreprise, il travaille toujours depuis le même atelier familial, à Clamart.
On s’y est récemment rendus et il va malheureusement être difficile de tout retranscrire tant la journée a été riche.
On a visité l’atelier, rencontré la famille, parlé de ses créations et vu les fils et les matières. Bref, ce qui devait être un rendez-vous d’une heure a finalement duré plus d’une demie journée sur place.
C’est ce qu’on va essayer de te raconter ici! Et bien entendu, on verra les pulls, et les looks qui vont avec!
Tricot Jean Marc, tricoteur
Avant de commencer, un retour en arrière s’impose.
Il nous a semblé impossible de parler de Tricots Jean-Marc et du tricot français sans évoquer l’histoire des tricoteurs arméniens du sud ouest de Paris.
Pourquoi? Parce que leurs histoires s’entremêlent.
Tricot Jean Marc, l’héritage des tricoteurs arméniens
À partir de 1915, de nombreux arméniens doivent fuir leur pays et certains trouvent refuge en France. Une partie d’entre eux s’installe autour d’Issy les Moulineaux pour travailler dans l’une des nombreuses usines du secteur.
Dans les années 30, les premiers arméniens se lancent dans la confection et le tricotage, de manière artisanale. C’est après la guerre, dans les années 40, qu’ils achètent leurs premières machines à tricoter pour vendre leurs produits aux grossistes du sentier parisien.
La communauté arménienne achète de plus en plus de machines et créé de plus en plus d’entreprises, jusqu’à atteindre 250 tricoteurs dans le secteur de Clamart dans les années 70. À cette période, plus de 100 000 pièces pouvaient être fabriquées chaque jour. C’est à cette époque, où se développe un véritable savoir faire en matière de tricotage, qu’est fondée Tricots Jean Marc.
Bien aidée par la mondialisation, la crise de l’industrie textile en France fait disparaître ces entreprises les unes après les autres à partir des années 80.
De 250, on passe à une trentaine dans les années 2010. Et leur nombre ne cesse de diminuer depuis. Tricots Jean Marc a traversé des crises, mais a su se réinventer pour garder la tête hors de l’eau et rester l’un des rares témoins et représentants de cette histoire.
Tricot Jean Marc & Borasification
Tout s’est décidé un peu par hasard il y a quelques semaines à l’occasion d’un apéro pour fêter la fin des précommandes Max Sauveur x Lucallaccio.
L’atmosphère est détendue, tout le monde bavarde, et au bout d’une heure sur place, on fait la connaissance de Melik. Après les politesses d’usage, on commence à parler chiffon, et on apprend qu’il dirige Tricots Jean-Marc.
Il est d’origine arménienne, et nous raconte l’histoire de sa famille et des tricoteurs arméniens de Clamart. Une histoire et un savoir faire qui remontent au début des années 30. À ce moment là avec Boras, on sent le potentiel.
On en arrive vite à se demander comment on pourrait bosser ensemble. Son atelier est à Clamart, aux portes de Paris, donc pourquoi pas organiser une visite des lieux?
Au cours de la journée, on rencontre entre autres sa mère qui est styliste / modéliste, son père qui s’occupe de l’atelier, et Kaoutar qui l’accompagne sur tous les sujets liés au digital. On ressent vite l’ambiance familiale qui règne sur place.
Ils nous sortent des fils et des échantillons de matières pour nous montrer à la fois comment sont pensés les modèles et les contraintes auxquelles ils doivent faire face. Fabrication des fils, choix de l’épaisseur, machines utilisées ou points de tricot choisis, sont autant de paramètres à prendre en compte lors de la confection d’un pull.
On découvre alors quelques prototypes et on essaye des modèles. Nos yeux sont rapidement happés par un pull constitué de fils de plusieurs couleurs (Spoiler: tu l’as vu dans l’article sur le dernier drop Arashi by Boras).
La passion qu’on ressentait dans le discours se retrouve dans le produit fini.
Et on comprend assez rapidement que le fil est la clé de voute du process créatif. Comme un chef en cuisine, Melik expérimente avec son équipe pour trouver la meilleure formule. Types de fils, matières, épaisseur, les combinaisons sont infinies et permettent des rendus originaux.
C’est justement l’un des aspects qu’on a voulu creuser dans l’interview qui suit!
Interview de Melik Baratian
Il a baigné dans cet environnement depuis son enfance et s’est naturellement pris de passion pour le métier de ses parents. Loin de simplement reproduire ce qui a toujours été fait, il s’est approprié leur savoir faire pour donner une véritable identité à Tricots Jean Marc.
L’entretien qui suit ne représente qu’une infime partie de nos échanges. On espère pouvoir présenter le reste de l’histoire dans l’un des nouveaux formats que l’on prépare pour le début d’année prochaine!
Salut Melik, je te laisse te présenter et nous parler un peu de ton parcours.
Salut Jordan, j’ai 36 ans et je travaille pour Tricots Jean Marc depuis 11 ans.
Mes 2 grands pères étaient chacun fabricants de tricots. Mon père travaillait avec le sien, et ma mère avec le sien. En fait ils étaient concurrents et j’ai grandi dans cet environnement.
J’ai fait une école de commerce et un master en commerce international à Nantes. Je suis notamment parti en stage à Los Angeles chez Ed Hardy en 2006, la marque qu’avait montée Christian Audigier. Et c’est là bas que je suis tombé amoureux du secteur du prêt à porter. Je me suis rendu compte que c’était un secteur très très vaste. Que rien n‘était figé. Qu’il y avait des hauts et des bas, beaucoup de surprises, beaucoup de rencontres. Qu’un jour on pouvait être en bas, et quelques années plus tard à la tête d’une marque vendue dans le monde entier.
Après, j’ai toujours eu des expériences dans le textile. J’ai fait un stage chez Celine en 2009, je suis retourné travailler à Los Angeles, et je suis allé en Chine car je voulais voir comment on fabriquait. Je suis rentré en France pour rejoindre Tricots Jean Marc et essayer d’apporter ma touche.
Comment a commencé l’aventure Tricots Jean Marc?
Tricots Jean Marc a été créée par mon grand père et son ami d’enfance en 1972. Ils étaient façonniers, ils avaient donc des machines à tricoter et tricotaient des pièces pour des fabricants qui revendaient ensuite des pulls chez les grossistes parisiens, français et européens.
Mon père, lorsqu’il a rejoint la société, a voulu devenir fabricant. Il avait appris la maille et la programmation sur les machines, dans l’école Dubier en Suisse, qui était un fabricant français de machines à tricoter. Donc, mon père à convaincu son père et son associé de devenir fabricants, il a fait une collection, il est allé la présenter aux grossistes parisiens, et il est revenu avec une commande de 10 000 pièces. C’était un peu plus simple qu’aujourd’hui à cette époque.
Ils ont bien travaillé pendant des années, et même quand la concurrence est devenue plus rude à partir des années 90, avec les importations et le développement des grandes enseignes, mon père a toujours su investir en production et faire des produits qui se vendaient plus que ceux des ses concurrents. C’est pour ça qu’il a pu tenir jusqu’aux années 2010, avant le dernier coup de grâce. Des grossistes asiatiques se sont installés à Aubervilliers et à Prato en Italie et ont inondé de produits les grossistes et détaillants qu’il restait.
J’ai donc essayé d’aller vendre les produits qu’on faisait à l’étranger. J’ai eu l’opportunité d’envoyer une collection au Canada, pour qu’elle soit vendue en Amérique du Nord. La marque Tricots Jean Marc était née. C’était en 2013. La collection ne ressemblait à rien, il y avait tout et importe quoi, aucune cohérence.
Il a fallu qu’on change nos produits. On a changé le fil, la manière de tricoter, on s‘est plus appliqué au montage. Notre coût de fabrication a augmenté, notre qualité était meilleure, et nos prix de vente aussi. On a acheté des machines pour ennoblir les panneaux tricotés. On est montés en gamme.
Ensuite, on a créé la ligne homme que vous connaissez.
De ce que j’ai compris, tout part du fil. Tu peux nous en dire plus à ce sujet?
On a deux manières de faire un pull. Soit on pense à un modèle, un point de tricotage, un jacquard, un intarsia, une forme, une épaisseur… On va écrire et dessiner brièvement le modèle, et ensuite on va aller chercher le fil pour le faire. Soit on regarde les fils de nos fournisseurs, et on s’arrête sur ceux qui nous plaisent. C’est comme ça que jai appris à faire mes premiers modèles. On était très centrés sur les fils fantaisie: des fils imprimés, flamés, dévorés, texturés, mouchetés, bouclette… Bref, des fils orignaux qui nous permettaient de faire des modèles très simples, auxquels seul le fil suffisait à donner de l’originalité.
Le gros du travail du tricoteur est de comprendre le fil. Car chaque fil est différent, dans sa matière, son épaisseur, sa texture… Le sujet des fils est très vaste, c’est pour ça que je parle rapidement des matières mais que je peux passer des heures sur le fil. J’ai déjà vu plus de 3000 fils différents, j’ai dû en tricoter 400, alors qu’il y qu’une vingtaine de matières. Un même fil, de même composition, d’une même épaisseur, d’un filateur à l’autre sera différent. Donc il faut connaitre et comprendre le fil, pour pouvoir le tricoter.
Comment tu vois la suite dans quelques années? Qu’est ce que tu aimerais faire avec la marque?
J’aimerais que l’atelier se re-développe. Que nous puissions avoir une activité pérenne. Garder ce savoir faire. Car l’atelier est un laboratoire, une cuisine. C’est le lieu où tu fais tous tes essais.
Et je ne pourrais pas créer ni travailler comme ça si je n’étais pas dans l’atelier. Il est donc primordial de tout faire pour le garder.
Pour la marque Tricots Jean Marc, j’aimerais qu’elle se développe en wholesale et sur le web.
Plus on aura de clients, plus on pourra créer de nouveaux pulls. Et c’est tellement frustrant d’avoir tout ça, et de ne vendre que quelques modèles! J’aimerais continuer de faire de pulls, avec des fils intéressants, riches, les mélanger, mélanger les points de tricotage. Faire des modèles que vous n’avez jamais vus. C’est ça qui est intéressant avec le tricot, c’est qu’il n’y a pas de limite.
Les mailles Tricot Jean Marc (du pull made in France)
Parce que bon, on est aussi là pour parler des pulls, et plus précisément de ceux qu’on a pu porter ces dernières semaines.
Le choix des modèles
Le Youri
Quand j’étais môme et que j’aimais encore le foot, mon héros s’appelait Youri Djorkaeff (j’espère que les lecteurs qui ont passé la trentaine s’en souviendront). Un joueur sobre avec du panache, toujours efficace.
Le choix du modèle Youri en laine mérinos s’imposait donc de lui même. Et j’ai retrouvé dans le pull les qualités du joueur.
N’étant pas particulièrement frileux, j’ai pris l’habitude d’assez peu me couvrir en hiver. J’ai tendance à privilégier le coup de froid ponctuel aux bouffées de chaleur. Et j’ai souvent la crainte lorsque j’enfile une maille d’étouffer au bout de 5 minutes.
Mais pas de mauvaise surprise ici. C’est une armure contre le froid sans pour autant être une étuve quand le thermomètre remonte.
Côté matière, on est sur une laine merinos filée par le filateur historique de la marque, situé en Italie. Le pull a été lavé et séché pour à la fois faire gonfler la matière et la fixer (il n’est donc pas censé bouger). Il a un certain volume sans pour autant être inutilement lourd.
C’est sur le choix des couleurs qu’on a pris tous les risques. Beige pour moi, et un vert olive légèrement passé pour Boras.
Le Azad
Melik nous racontait à quel point il aimait travailler les fils « fantaisie ». C’est l’avantage de maîtriser l’ensemble de la chaine de production, en commençant avec le fil. Tu as plus de liberté, tu peux tester plus de choses, puisque tu ne dépends pas d’un atelier externe, de ses process et des lignes de coûts associées.
Avec le modèle Azad, on est en plein dedans.
C’est d’ailleurs le premier qui avait attiré notre attention. Le rendu de sa maille perlée est vraiment singulier avec ses trois fils de couleurs différentes. Il nous a tout de suite rappelé la texture d’un denim.
On s’en rend à peu près compte sur cette photo (mais c’est à l’oeil nu qu’on le remarque vraiment):
Il est décliné en trois coloris et c’est sa versions grise que tu as pu voir dans l’article Arashi by Boras que je mentionnais un peu plus haut.
J’ai cru comprendre qu’il était aussi plutôt agréable à porter. Douillet sans être trop lourd avec son mélange coton/coton recyclé/polyester recyclé.
Il ne nous restait plus qu’à penser les tenues dans lesquelles les porter!
Le stylisme dans la plus pure tradition street heritage
Autant te le dire tout de suite, on a vite trouvé ce qu’on allait en faire!
Les coupes et les couleurs laissent une assez grande liberté pour penser tout type de look. On peut faire à peu près ce qu’on veut, en fonction de la taille et de la couleur choisies. C’est un vrai pull du quotidien.
Ce qu’il faut préciser, même si tu t’en doutes, c’est qu’on a pu size up tous les pulls. Les coupes sont droites, et le tomber reste harmonieux même avec une taille en plus.
Ils ont été pensés pour rester confortables même lorsqu’on prend un peu de poids. À garder en tête au moment de se servir du foie gras pour la troisième fois dans quelques semaines.
Je suis donc parti sur un XL pour mon Youri beige, et Boras sur du L pour le Youri et le Azad.
Laine au carré
J’ai pensé cette tenue pour être à l’aise dans le froid sans suffoquer. Et le beige du pull permet vraiment de jouer avec les contrastes.
Alors je suis parti sur une veste matelassée Gant Rugger marine en laine pour éviter l’hypothermie. Le gilet en ripstop en mid-layer, c’est bonus, un pick récent que je fous un peu partout.
Sur les pattes, un 501 vintage droit, qui envoie du volume sans déséquilibrer le haut. Le leg opening permet aux kicks de ne pas avoir l’air de palmes, et leur couleur rappelle subtilement (?) les boutons de la veste. Les détails…
Influence military, du Boras dans le texte
On retrouve une formule éculée dont Boras nous a prouvé à maintes reprises qu’elle fonctionnait: le full olive military.
Les teintes du pull et de la veste Arashi Denim sont suffisamment proches pour éviter tout contraste grossier, et suffisamment éloignées pour que ça reste harmonieux. Le collier Borali apporte juste ce qu’il faut de couleur pour casser l’uniformité.
On ne présente plus le jean bleach Borali, et on lève tous les mains vers le ciel pour accélérer sa sortie. Les boots Visvim viennent compléter la tenue, et le pauvre homme est dans tous ses états!
Denim et déclinaisons de bleu
Comme je te le disais en présentant ce pull, il nous a tout de suite évoqué du denim.
Boras a donc joué le jeu à fond en le portant avec son jean de coeur, le Hatski loose tapered, évidemment. Le drop shoulder du pull est un peu plus bas que celui du Youri, et les volumes se répondent bien.
Par dessus, le manteau Engineered Garments va chercher le même type de nuances et de contrastes que les fils du pull avec son mélange de bleu et d’anthracite.
Et on termine avec un classique, les Royans de chez Maison Hardrige qu’il ne lâche plus ces derniers temps.
Le mot de la fin
Comme tu l’as probablement senti tout au long de l’article, on est plutôt enthousiastes quand il s’agit de parler de ces pulls.
A priori classiques, ils sont en fait plein de petits détails bien sentis, que ce soit dans le tricotage, le choix des fils ou les coupes. C’est aussi ça le résultat du travail de passionnés, des amoureux du produit, et d’une histoire riche de plusieurs décennies. Du vrai made in France qui ne se contente pas de surfer sur les tendances marketing du moment. Et qui n’en fait pas des tonnes. Le petit truc en plus qui fait qu’on aime travailler avec ce genre de marques.
Tu peux retrouver le reste de la collection sur le site de Tricots Jean Marc.