Se rendre chaque année dans l’atelier lyonnais d’Arpenteur pour éprouver les nouvelles collections, l’automne / hiver 2024 étant le sujet du jour, est pour moi comme un petit rituel. Annonciateur d’échanges enrichissants avec les fondateurs Marc Asseily et Laurent Bourven. D’un regard neuf sur des pièces parfois injustement sous-estimées, à froid derrière son écran. Et d’une appréciation renouvelée pour un travail de l’ombre que l’on pourrait sans peine qualifier d’« ingrat ».
NB: Les deux pièces de la collection Arpenteur automne / hiver 2024 présentées dans cet article ont été prêtées par la marque à ma demande. Elle soutient également financièrement le média. Merci !
Arpenteur automne / hiver 2024 : éloge de la discrétion
Car tout semble pensé pour plaire à ceux parlant une langue commune, qui déjà savent écouter. Sans qu’on vienne user d’embellissements dans l’espoir d’accaparer le peu de temps de cerveau disponible qui nous appartiendrait encore. À l’image de ces marques qui, dans une autre vie (celle d’avant ?), auraient très bien pu te refourguer indifféremment un épluche-légume à la Foire de Paris. Ou une formation pour « draguer » dans la rue. Et puis celles qui te vendent un lifestyle. De l’abstrait, et, en passant, les vêtements assortis. Saturant un espace, maintenant pauvre en interprètes consciencieux, d’images, de clichés, de superlatifs, de mensonges.
Alors, quitte à choisir, ce sera mille fois la retenue, la discrétion, l’omission. Un trop-plein de modestie, peut-être. Pour une recette dont la relative âpreté peut certainement laisser de marbre ceux qui se sont bien accoutumés au bruit, qui réclament un logo à la poitrine ou un conte avant de passer à la caisse.
Il serait toutefois injuste de dire d’Arpenteur, qui certes pratique de manière assidue la sobriété et la distanciation, qu’elle se refuse à participer au jeu de la communication. Lookbooks récurrents, shootings en studio avec mannequins depuis la collection printemps / été 2024, packshots parfaits. Une identité visuelle toujours imaginée de concert avec le dessinateur français Régric. Des fiches produits épurées, mais disant l’essentiel. On en oublierait presque, dans la cacophonie ambiante, que tout cela représente déjà beaucoup d’efforts pour ne favoriser qu’une seule chose : la possibilité d’une rencontre « authentique ». Car Arpenteur est purement une affaire de créateurs, et non pas de commerçants ou même de stylistes. Et tout ce qui s’échappe de l’atelier doit pouvoir être réinterprété, s’inscrire dans des histoires individuelles.
Le beau est quotidien
Pas de place donc pour les ficelles marketing. Pour les grands discours sur le made in France. Pas de paragraphes de quinze lignes sur de prétendues matières d’exception, mais souvent la composition dans son plus simple appareil. Aucune photo des machines. Non, pas même la représentation de l’équipe restreinte qui conçoit et produit elle-même des vêtements, du début à la fin, pour un partenariat récent avec l’excellente boutique new-yorkaise CHCM. Ou cette série de pièces en cuir couronnant la nouvelle collection hivernale. Car le storytelling s’arrête là où il peut avoir un sens, au vêtement. Qui doit jouer au mieux son rôle. Qui doit répondre aux attentes et à des envies changeantes. Celles de Marc et Laurent se devinent aisément depuis quelques saisons si l’on prend le temps, qui nous est d’ailleurs généreusement offert, pour mieux s’intéresser à ce que les vêtements ont à dire.
Car, ici, tout bruisse. Du tweed « mousseux » low-tension, subtilisé au monde du luxe et du costume pour sublimer un ensemble sporstwear à la coupe loose (« TRACK »), jusqu’au gros velours côtelé tapissant les poches des manteaux minimalistes « ATLAS » et « UTILE ». Et puis cette luxueuse flanelle de laine, de la nouvelle parka ample et boxy « AIR », qui cohabite harmonieusement avec l’invisible ouate Primaloft. Ce magnifique cuir d’agneau nappa, sur les vestes « VOL » et « TRACK V », dont la souplesse est synonyme d’un élégant et inhabituel drapé. L’incontournable maille Rachel, celles des marinières traditionnelles, qui donne un relief nouveau aux t-shirts et cardigans légers (« VOLT »). La laine mérinos du pull ample et drop shoulder « SOURCE », coup de cœur personnel, concrétisant à lui seul très bien l’esprit de la collection.
Préciosité et modestie
Ce grand détournement au service d’un vestiaire intrinsèquement casual qui « s’ennoblit », mais sans jamais se prendre trop au sérieux. Où les influences streetwear, military, workwear, outdoor viennent subvertir le soft-tailoring. Où la spontanéité d’une teinte presque naïve (de l’orange, du bleu, du blanc) vient faire dérailler, le temps d’un colorblock, une palette jusqu’alors typiquement hivernale. Mais on est loin du tape-à-l’œil. Comme toujours chez Arpenteur, il faut s’approcher pour faire la différence. Essayer pour apprécier un col montant convertible, le placement des poches, un bouton-pression particulièrement satisfaisant ou le montage de l’épaule. S’approprier, porter sur le temps long, pour mieux comprendre tout ce qui relève d’un travail invisible et non marketable, d’un autre langage.
Interview de Laurent Bourven, co-fondateur d’Arpenteur
Mon passage chez Arpenteur n’ayant pas été seulement prétexte à toucher à tout, j’ai profité de l’occasion pour poser quelques questions à l’équipe. Notamment à propos des deux pièces choisies pour prendre quelques photos, tranquillement chez moi : le manteau « ATLAS » et le gilet en cuir « TRACK V ». Laurent a eu, une nouvelle fois, la gentillesse de m’accorder un peu de son précieux temps :
PEUX-TU ME DIRE QUELQUES MOTS À PROPOS DE LA COLLECTION AUTOMNE / HIVER 24 ?
La collection AH24 est centrée autour de nos modèles classiques (LOFT, UTILE, CONTOUR…) avec un travail important sur l’équilibre des couleurs, qui donnent un caractère franc à l’ensemble. Nous avons introduit de nouvelles textures, comme le tweed fantaisie, nous permettant de travailler dans une zone qui nous plaît beaucoup actuellement, la frontière entre les vêtements casual et plus habillés. C’est le cas aussi avec la parka AIR, qui reprend les codes d’un vêtement outdoor, mais dans une matière à la fois très technique et raffinée.
LA VESTE « VOL » ET LE GILET « TRACK V » DE CETTE SAISON SONT LES TOUTES PREMIÈRES PIÈCES EN CUIR PROPOSÉES PAR ARPENTEUR. PEUX-TU ME PARLER DE L’HISTOIRE DE CES PIÈCES ?
L’idée d’un thème de vêtements en cuir nous poursuivait depuis plusieurs saisons déjà, sans avoir eu le temps de le concrétiser. Le choix de la matière a été crucial : nous cherchions un cuir très souple avec un drapé et une souplesse proches d’un rendu de chaîne et trame. Le cuir d’agneau, naturellement très souple et avec beaucoup de prêtant, remplissait parfaitement ces deux critères. Les premiers prototypes ont rapidement confirmé cette piste ! Après cinq essais dans différents cuirs, nous nous sommes arrêtés sur un agneau nappa plongé d’environ 1mm d’épaisseur, que nous avons sourcé auprès d’une maison traditionnelle implantée en Aveyron. Son grain fin et très régulier lui procure une brillance naturelle qui nous a beaucoup séduits.
Le blouson VOL introduit durant la saison PE24, mais dont la mise au point remonte à l’hiver dernier, s’est imposé rapidement comme modèle principal de ce thème en cuir, au croisement de ses influences aéronautiques et d’un blouson plus contemporain. Nous voulions un second modèle qui puisse être porté sous un manteau en laine, notre choix s’est donc tourné vers le gilet TRACK pour compléter le thème.
DE LA FABRICATION ?
Nous avons décidé de fabriquer ces deux modèles dans notre atelier de prototypage à Lyon. Cette gamme étant une première fois pour Arpenteur, nous avions besoin de nous rassurer en ayant un contrôle à 100% sur les étapes de fabrication. Par ailleurs, le cuir d’agneau étant plus fin, nous étions équipés pour assembler cette matière, sans avoir recours à une machinerie spécifique au cuir. Il s’agissait presque d’artisanat, car chaque peau reçue a été vérifiée et coupée individuellement (impossible de couper « en matelas », comme nous le faisons d’habitude avec le tissu). Le reste de l’assemblage était plus comparable à celui d’un vêtement classique, mais bien plus minutieux. Nous sommes très satisfaits du résultat et espérons pouvoir poursuivre notre travail sur le cuir l’hiver prochain.
J’AI ÉGALEMENT CHOISI DE PRÉSENTER LE MANTEAU « ATLAS » CAR IL INCARNE SELON MOI PARFAITEMENT CE QU’EST « UN VÊTEMENT ARPENTEUR ». AVEC SA MATIÈRE UN PEU RUSTIQUE, SOLIDE, EFFICACE ET DURABLE. SON COTÉ UTILITAIRE QUI LUI VIENT DES VÊTEMENTS DE MARIN, TELS QUE LE CABAN. ON PEUT POURTANT DIFFICILEMENT PARLER DE PIÈCE PUREMENT WORKWEAR. C’EST PLUTÔT UNE IDÉE DE SOPHISTICATION QUE JE RETIENS.
Oui, c’est tout à fait cela ! Le modèle ATLAS faisait partie d’une ancienne collection (AH18), mais il avait à ce moment-là un aspect plus brut : non doublé, donc avec des finitions plus visibles, des poches plaquées sur le devant et la poitrine, etc.
Nous avions envie de le réintroduire mais en brouillant un peu les pistes : il garde certains détails utilitaires, comme le col en bord côte ou le drap de laine (qui est en effet celui des cabans bretons traditionnels), en revanche nous avons retravaillé les proportions de l’ensemble du vêtement, qui une fois porté devient très contemporain. En outre il est cette fois-ci entièrement doublé, ce qui lui confère un caractère plus habillé dès qu’on le porte. L’emplacement des poches, insérées dans une découpe du patronage peu fréquente à cet endroit sur un manteau, est lui aussi révélateur du travail subtil que nous essayons d’apporter à l’ensemble de nos modèles.
PEUT-ON S’ATTENDRE À L’AVENIR À RETROUVER DAVANTAGE DE MATIÈRES « PRÉCIEUSES » DANS LES COLLECTIONS ARPENTEUR ?
A l’image du manteau ATLAS dont nous venons de parler, nous aimons partir d’une base enracinée mais en lui apportant des modifications très personnelles, pour finalement créer un vêtement qui n’aurait pas pu exister précédemment, mais qui nous ressemble, et surtout dans lequel nous imaginons que d’autres pourront aussi se projeter. C’est l’objectif de notre travail de design !
UN PEU DE TEASING CONCERNANT LA COLLECTION PRINTEMPS / ÉTÉ 25 POUR FINIR ?
Nous allons poursuivre dans la lignée de la saison PE24, avec de nouvelles associations entre couleurs (dont certaines audacieuses), matières et formes. Avec plaisir pour en reparler ici prochainement !
Arpenteur Automne / Hiver 2024 : deux pièces pour s’approprier la collection
Concluons cet article selon la « tradition », avec davantage de photos que de mots. Et mon bricolage, maintenant habituel. Afin de montrer autrement des vêtements polyvalents gagnant toujours à être intégrés à un vestiaire personnel.
Manteau « ATLAS » : comprendre l’évolution d’Arpenteur en un seul vêtement
Je dois bien avouer que ce n’est pas le manteau ATLAS qui a impulsé l’écriture de cet article. Je n’avais à vrai dire d’yeux que pour les pièces en cuir, enthousiasmé à l’idée que l’on puisse « concurrencer », en France, des marques américaines et japonaises comme MAN-TLE, Stein, Taiga Takahashi. Laissant de côté l’essence même d’Arpenteur, si familière. Mais qui l’est peut-être bien moins pour toi. Surtout si tu n’as pas lu les deux précédents volets, où je me suis efforcé de traduire le plus justement possible la philosophie de la marque.
Peu importe, car ce nouveau modèle est une aubaine pour tous ceux qui prendraient le train en marche. Un concentré de ce qu’Arpenteur propose. Si bien que je suis d’abord tombé dans le piège en ne lui prêtant pas grande attention. Il faut reconnaitre qu’il concrétise bien ce que j’appelais plus tôt « discrétion ». Avec son épais et rustique drap de laine, légèrement chiné. Sa boutonnière cachée. Ses poches qui se fondent dans le décor. Loin du caban traditionnel, avec son grand col et son double boutonnage difficile à ignorer.
Si l’ancien modèle « ATLAS » était bardé de poches, non doublé, plus stéréotypiquement « workwear », cette nouvelle itération représente pour moi un aboutissement naturel. Les qualités du « vêtement Arpenteur » sont toujours là, mais incorporées de manière plus subtile, organique. Il ne s’agit plus seulement de protéger des éléments, de ranger ses affaires. Le manteau doit pouvoir s’accorder à un vestiaire moins « brut », remplir sa fonction sans détonner. Fonctionner aussi bien avec un jean ample qu’un pantalon à pinces. Typiquement le genre de pièce que tu sous-estimes, mais qui reste aussi cool dix ans après l’achat.
Gilet « TRACK V », une pièce pour aller plus loin
Oublions un instant tout idéal de sobriété et d’intemporalité, voici la pièce la plus « modeuse » de la collection. Car on sait aussi s’amuser chez Arpenteur. Souvent par les couleurs (du rose, de l’orange, du violet…), parfois par les imprimés (comme un motif camo dessiné par Régric) et plus rarement avec une fringue qui « sort du lot ». Non pas que le gilet « TRACK V » ne soit pas intégré au reste du vestiaire, déclinaison d’un modèle préexistant qui fonctionne à merveille avec les manteaux proposés cet automne / hiver 2024. Mais parce qu’il s’agit, à mon humble avis, d’une pièce s’adressant à des gens « assez avancés » dans leur parcours sapologique.
Et donc avec suffisamment de pièces complémentaires, et de « basiques », pour justifier l’achat d’un gilet sans manches en cuir dont l’intérêt est forcément plus stylistique que pratique. Enfin, ce n’est peut-être pas aussi simple que cela. Porté avec une grosse maille comme seul outerwear, le gilet « TRACK V » fonctionne surprenamment bien. Contrairement à de nombreuses marques qui font du gilet (en cuir, ou non) une pure pièce de layering Arpenteur a fait en sorte que le « TRACK V » possède les mêmes qualités que la superbe veste « VOL », les manches en moins.
En commençant par le cuir d’agneau, bien sûr. Dont j’ai déjà fait les louanges. Très « précieux » et luxueux, et qui empêchera d’emblée toute association d’idée avec le grossier et rigide gilet de biker. Tu trouveras également la même doublure cupro (matière semi-synthétique la plus qualitative, proche de la soie) et le même nombre de poches. Deux à bouton-pression, une à zip à l’intérieur. Et un dos élastiqué qui donne au gilet une « forme », traduit une intention. La différence notable avec la veste étant la construction du col. Il est ici montant, si tu choisis de remonter le double-zip RIRI jusqu’en haut. Encore un très bon point, autant pour porter le gilet seul que sous un gros manteau ou une parka.
Bref, c’est clairement « un objet de mode ». Mais avec une touche bienvenue de réalisme Arpenteur. Le meilleur des mondes ?
Arpenteur FW24, la suite ?
J’aurais bien voulu emprunter toute la collection FW24 pour l’exercice, mais j’ai du me résoudre à choisir seulement deux pièces. Le reste, dont l’ensemble sporstwear-chic en tweed, est à l’heure où j’écris ces lignes entre les mains de Boras qui prendra la suite de cet article. Alors surveille le site et le compte insta si tu apprécies l’idée de voir davantage de vêtements Arpenteur, in situ, dans les prochains jours ! En attendant, tu peux retrouver l’ensemble de la collection automne / hiver 2024 sur le site de la marque.