Bonjour tout le monde. Vous ne trouvez pas qu’on parle beaucoup de noragi en ce moment ?
J’avais très envie de faire comme Julien dans ses tutos une noragi. J’ai une vieille histoire d’amour avec le Japon, où j’ai vécu quelques mois pendant mes années étudiantes. Et puis c’est une pièce vraiment intéressante dans ses possibilités, à la fois simple et très riche. Le confinement m’a permis de créer ma première veste, de manière assez surprenante. Je vous raconte tout ça.
Tout commence par des sacs…
OK, ça a l’air étrange, mais je me suis mis à la couture en faisant des sacs en tissu pour les produits que j’achète en vrac en magasin bio, céréales, fruits secs etc… Le web regorge de tutos et j’en ai trouvé un plutôt intéressant au niveau des finitions (coutures anglaises pour les bords notamment). C’est un très bon moyen de commencer à coudre quand on n’y connaît rien, c’est un objet facile et rapide à faire, et c’est satisfaisant de faire un premier projet de couture avec des finitions correctes.
Pour faire d’autres sacs j’avais récupéré un gros coupon de tissu qu’une voisine donnait. Une toile de coton jaune à fleurs bleues, prévue initialement pour des housses de fauteuil.
Bref, je commençais à coudre mes petits sacs, et à me dire que j’irais bien acheter un coupon de chambray pour faire une noragi, quand le confinement est arrivé.
Au bout de quelques jours à tourner en rond, j’ai relu les articles de Julien, et je me suis dit que j’allais faire un prototype de noragi avec ce tissu que j’avais sous la main, histoire de bien comprendre comment on faisait, d’avoir un brouillon pour pouvoir faire une « vraie » noragi plus tard.
Donner forme, et passer aux détails
Après beaucoup de boulot pour établir un patron propre (monter, enfiler, démonter et corriger des pièces de papier puis de tissu…) j’ai fini .par avoir une forme satisfaisante pour ma noragi. J’ai pas mal galéré notamment pour les manches, ma première emmanchure était beaucoup trop étroite malgré des mesures prises sur d’autres vestes. Je ne vous refais pas toute l’histoire, l’article de Julien est déjà assez complet. Je me suis particulièrement amusé pour placer les motifs de mon tissu, qui figurait de grosses fleurs en bas, et quelques petites fleurs régulières sur le reste du coupon. J’ai choisi de placer les grosses fleurs sur le bas de la pièce pour amener la clarté sur le haut de la tenue, et j’ai travaillé pour avoir une cohérence entre les parties avant et arrière.
Ces points posés, il me restait à élaborer les détails du col, de la fermeture et des poches.
Et croyez-moi, le diable est dans les détails.
Le col est fait d’une bande de tissu pliée en quatre comme un biais. J’aime bien les designs avec un changement de matière au milieu de la bande. Avec un seul tissu il allait donc falloir jouer sur les motifs, j’ai donc fait une bande haute en jaune avec juste une petite fleur pile au milieu du col, et les deux bandes basses en prenant sur des parties imprimées et en coupant pour bien tomber au milieu de motifs bleus afin que la ligne de coupure soit nette.
J’ai ensuite voulu assembler le col. Comme mes coutures, même à la machine, ne sont pas parfaites, j’ai choisi de les cacher. J’ai donc sur le devant une couture cachée dans le repli de la bande de col. Et pour l’intérieur, pas le choix, le seul moyen d’assembler le col sans voir de couture à l’extérieur était de tout coudre à la main. Croyez-moi, c’est un choix qu’il faut assumer. J’ai passé plus de deux heures à coudre tout l’intérieur de cette bande. Les coutures sont pas géniales, rappelez-vous que je n’ai jamais cousu avant ça, mais elles sont à l’intérieur donc pas visibles en temps normal. J’ai aussi inclus deux bandes de tissu, montées comme des tubes, pour les rubans de fermeture de la pièce.
Le col fini, j’ai fait les ourlets du bas et des manches. J’avais une pièce portable, la coupe me convenait, restait à traiter la fermeture et les poches.
A l’usage mes bandes de tissu se sont révélées trop épaisses pour pouvoir être nouées facilement, j’ai passé pas mal de temps à potasser le sujet. Au final vu que ma veste a un rendu très sobre et simple dans son dessin, j’avais envie de rester dans quelque chose de net et lisse. J’ai étudié les différentes manières de nouer des sangles, ceintures… et j’ai retenu l’idée d’un nœud en pentagone. Ça a l’air compliqué mais c’est tout simple. Prenez une bande de papier et faites un nœud simple avec. Si vous faites les choses bien à plat, vous obtenez un pentagone.
Comme c’est délicat de faire un tel nœud proprement chaque jour, j’ai fait un nœud fixe avec l’une des extrémités, je l’ai cousu, et je glisse l’autre extrémité, pliée en boucle, à l’intérieur. Bref, c’est comme un passant de ceinture, mais avec une esthétique de nœud plat.
Il me restait à faire les poches. J’étais parti pour des poches plaquées, avec un motif exactement calé sur le reste de la pièce. J’étais sûr de moi, et ça me semblait tout simple.
Sauf que dans les faits la forme rectangulaire de la poche ne venait pas bien s’aligner avec le bas du col, qui est légèrement oblique.
J’ai fait différents essais, avec une poche en oblique, une poche plus éloignée du bord… et puis je me suis rappelé un grand principe de tout travail créatif : toujours mettre un coup de gomme. En clair, après avoir ajouté des choses à un projet, il est très souvent pertinent d’enlever quelque chose, de simplifier. Les poches ne sont pas fondamentales sur une noragi comme elles pourraient l’être sur une saharienne ou une M65. J’ai laissé tomber les poches, et la pièce marche très bien comme ça.
Prêt à porter ?
Une fois le boulot fini, je me suis retrouvé avec une noragi, jaune à fleurs bleues certes, mais correctement coupée et plutôt propre au niveau des finitions, en tout cas à l’extérieur.
J’avais investi pas mal d’énergie et de coeur dans ce projet de couture qui n’était sensé être qu’une étape intermédiaire. L’intégrer dans des tenues devenait la suite logique de l’exercice. J’ai fait un peu de recherche web sur les accords de couleur (avec l’excellent paletton), demandé des avis sur des forums et recherché des photos de référence. Voici deux tenues avec cette veste qui ne laisse personne indifférent.
Pour la première je suis parti de conseils de forumeurs qui m’ont suggéré du vert olive, j’avais le chino qui va bien pour ça, il est moins loose que ce qu’on voit d’habitude sur le blog et avec des noragi, mais je suis assez peu fourni en pantalons amples.
J’ai choisi d’opposer le haut très lisse (tee uni à col rond, noragi) à un bas avec plus de relief, la toile du chino qui marque joliment les plis et donne un côté plus vivant. Les desert boots restent dans cet esprit sobre et simple, ajoutent un peu de matière, leur patine va bien avec celle du chino. Les accessoires viennent faire un camaïeu de marron, beige et kaki en haut pour lier le haut et le bas, le collier porté assez bas amène un point focal sur le buste, en faisant un clin d’oeil aux colliers que les japonais portent assez bas sous les kimono. Bref c’est une tenue ultra casual qui ne vient pas faire d’ombre à la veste.
Pour la deuxième j’ai pris des pièces plus amples et un peu moins casual, en restant dans des schémas de couleur similaires sur le bas et les accessoires, simplement parce que c’est ce que je porte habituellement. On part donc sur une chemise baseball BWGH, marque défunte qui a fait quelques pièces originales et qu’on peut choper à bon prix en seconde main. Fouillez Vinted en contournant les innombrables sweats « Brooklyn parle français » et vous trouverez à mon avis des choses intéressantes.
Le bleu clair du chambray se marie bien avec le bleu des fleurs de la noragi, et la chemise dévoile ses fleurs quand la noragi tombe. Pour le bas j’amène un contraste plus fort avec un cargo Monoprix kaki assez sombre. Je viens boucler le tout avec une paire de sneakers Lanvin (merci Vinted!) qui ajoutent un rappel de bleu et je recommence mon jeu d’accessoires en camaïeu beige, kaki, marron. Et voilà une tenue plus loose.
Alors, faire ses vêtements, ça vaut le coût ?
Ça c’est une excellente question.
Si on fait un calcul purement financier, j’ai passé une vingtaine d’heures de boulot pour faire une première noragi comme celle-là, avec des finitions intérieures approximatives, et une tenue dans le temps et aux lavages encore incertaine. Donc pour un premier essai on n’est pas sur une rentabilité d’enfer par rapport à un produit d’entrée de gamme dans le commerce.
Donc se mettre à la couture pour une pièce unique en imaginant faire des économies n’est à mon avis pas une bonne idée.
Quand on se met à accumuler de l’expérience, et un peu de matériel, le raisonnement est différent. Je connais un couturier expérimenté qui arrive à sortir une pièce similaire et mieux finie en moins d’une journée. Mais il a du niveau.
Les questions d’argent mises à part, coudre ses propres vêtements offre des avantages indéniables :
- l’assurance d’avoir la coupe que vous voulez, notamment si comme moi vous n’êtes pas un mannequin (1.73m pour 58kg, dur de trouver les bonnes longueurs en prêt à porter)
- la fierté d’avoir fait soi-même
- la liberté de personnaliser les détails de poches et fermetures à vos besoins
Et enfin, avoir fait ne serait-ce qu’un vêtement de bout en bout vous donne un regard différent sur ce que vous verrez en boutique. Les détails de couture et de montage vous apparaîtront plus clairement, et vous pourrez plus aisément repérer et comprendre la qualité de la pièce que vous tenez dans les mains.
Si vous avez envie de commencer la couture, je vous recommande de ne pas faire comme moi en partant tout seul à l’aventure, car le risque d’échec et de déception n’est pas nul.
Investissez dans un patron tout fait avec des explications détaillées sur l’ordre de montage, votre apprentissage en sera facilité et vous arriverez à une pièce satisfaisante. Ou alors, entourez-vous d’une ou deux personnes-ressource qui pourront vous conseiller et vous remotiver quand vous en serez à votre troisième démontage.
Et avant tout : amusez-vous ! Passer du temps sur une machine à coudre doit être un plaisir, et c’est tout ce que je vous souhaite.