Je suis en colère ! Et pour cause,je n’avais pas prévu de sortir un épisode de la rubrique « j’aime pas » ce mois-ci. J’ai des sujets plus importants et positifs à traiter comme la collection SS20 de Kestin ou notre futur travail commun avec Overlord. Mais voilà, il a fallu que Thomas, un pote, me partage un compte Instagram d’une nouvelle « marque » française …
Qube Paris.
Au début, ça me fait sourire, parce que c’est le pseudo de Quentin, que tu connais surement puisqu’il est rédacteur ici et qui officie sur Insta sous le pseudo Qube.head. Je regarde un peu le site, et là, OK, une énième DNVB pondue par des entrepreneurs d’école de commerce qui ont du écouter un podcast d’entreprendre dans la mode.
Je balance le lien sur le Discord que j’ai avec la fine fleur des forums de mode francophones pour chambrer Qube (le vrai).
Et là, c’est Colin qui rebondit en me disant un gros : « mais non les petits malins ».
Qube Paris est une énorme arnaque qui surfe sur tout ce que je combats depuis des années ici.
Dans sa face la plus malhonnête.
Je me devais donc faire une pause dans mes éditos à venir et mettre en lumière cela, en espérant que quelques uns tombent sur l’article avant leur pub Instagram.
Qube paris – Recette d’une « marque » qui vend des produits chinois avec des marges x10 et plus
En taquinant avec humour certains entrepreneurs français qui font du vêtement leur nouveau terrain de jeu pour se faire un maximum de blé, je mets surtout en avant une approche à l’opposé de valeurs que je trouve fondamentales : l’honnêteté et l’amour du vêtement.
Mais surtout, dans une société où l’on met sur un piédestal la réussite financière avant tout, j’appréhendais les dérives que cela engendrerait tôt ou tard.
En effet, le consommateur non averti est en danger. Ces modèles marketing sont construits par des pontes du domaine pour faire passer cela comme une lettre à la poste.
Une parodie du marketing du superlatif d’Asphalte et du modèle Bonnegueule
Je ne vais pas développer ici ce que j’appelle le marketing du superlatif. Un modèle « petit frère » de celui de BG qui repose sur une base commune, la précision en moins.
Dans les grandes lignes, c’est une façon de décortiquer un produit à son paroxysme et y insérer tout ce qu’il faut en adjectifs et mots techniques qui vont valider les principaux facteurs d’achat d’un vêtement chez l’homme qui veut un produit de qualité :
- matière
- atelier
- histoire du produit
- durabilité
- éthique / écologie
- zeste d’émotion
Dans les mains d’une marque honnête, cette transparence est louable (même si je pense que cela peut être souvent plus mesuré).
En revanche, les abus peuvent vite arriver et là, on entre dans ce marketing du superlatif pesant et trompeur. Celui où l’on va manipuler le consommateur peu averti via des omissions / approximations / mensonges.
Le fameux « on a pris une toile 14oz pour que ton jean ne se troue plus à l’entre-jambe ». Une hérésie quand on est amateur de jean … On y reviendra plus tard.
Là, Qube Paris, tu sens que les mecs ont fait tourner en boucle les interviews du fondateur d’Asphalte, lu et relu la success story du modèle de BonneGueule (ou on eu des cours à l’école, c’est possible).
On retrouve la page produit type de leurs business :
- atelier / produit
- des looks
- mise en avant de chiffres clés
- des conseils d’entretien ultra précis
Mais un bon marqueteur, c’est un mec qui va connaître son marché et son produit sur le bout des doigts. J’ai beau ne pas aimer cette façon d’appréhender le vêtement, force est de constater que ce sont des gens intelligents qui ne laissent rien au hasard.
Eux, chez Qube Paris, tu sens qu’ils n’y connaissent strictement rien à la sape, il suffit de lire leurs pages produit pour y relever tous les deux ou trois lignes une maladresse ou ineptie, coincée entre deux superlatifs bien lourds. Je ne vais pas toutes te les citer mais en voici quelques unes grosses comme une maison :
(J’ai fait les screenshots pour que l’on se rappelle, des fois qu’ils tombent sur l’article et changent)
Et à ça tu ajoutes bien sûr une touche de la célèbre marque de bitume :
- la notion de pré-commande à prix « avantageux » (on va rigoler après)
Et je vais rester objectif en ne faisant pas le lien avec les « parfait », « ultime » & co qui sont légions chez leur modèle.
Qube Paris fait vraiment parodie vu de l’extérieur. Ce genre de projet scolaire monté par des étudiants d’école de commerce entre deux matières.
Et pourtant avec les outils que l’on va voir après, ils commenceraient déjà à faire du chiffre.
Qube Paris achète à quelques dollars et revend à prix d’or
Maintenant que l’on a vu comment Qube Paris a tenté de plagier les machines marketing que sont BG et Asphalte, on va voir où réside l’arnaque.
En effet, s’inspirer de ces modèles à succès n’a en soit rien de condamnable.
Là où le bas blesse, c’est que le futur client de cette boîte se fait avoir, dans les grandes largeurs.
Qube Paris ne fabrique pas ses vêtements et ça ils le disent.
Il faut au moins leur concéder ça.
Mais là s’arrête l’information viable. La suite est une série de conneries.
Manufacture ceci, atelier cela…
Non, Qube Paris ne va pas chercher des artisans travaillant des matières rares et haut de gamme japonaises comme on peut le lire.
Il n’y a rien de tout ça.
Tu sais ce que fait Qube paris ?
De l’achat revente de produits sur Taobao, un immense site de e-commerce chinois où règnent la contrefaçon et des produits cheap. On y trouve cependant des petits labels locaux vraiment pas chers et sympas pour le prix (chinois).
Prépare-toi parce que c’est là que l’on rigole.
Prenons la chemise à rayures vendue 180e (ou 140e en pré-commande wahaou) :
et bien la voici sur Taobao disponible pour la modique somme de 15$ :
Et il ne s’agit pas d’un éventuel prix en gros, c’est la marque qui vend à prix là au consommateur final.
Tu la vois la belle marge à plus de 10x !
Et ça ne coûte strictement rien à faire venir en France (et quand bien même ça multiplierait le prix par 2…)
Tiens la super veste de travail soit disant historique au savoir-faire de dingue en coton thermorégulant, vendue 280e (ce prix d’un label japonais haha) :
Et bien tu pourras te l’offrir pour 20$ à peine ici :
Tu la sens la douille stratosphérique ?
Et cela vaut aussi pour les sneakers et la sorte de pantalon workwear en denim.
Le pire est qu’il te font en plus croire que c’est une qualité de dingue pour se faire un maximum d’argent sur le dos des consommateurs crédules qui vont y croire. On te parle de matière japonaise mais le produit coûte 15$, ce n’est même pas le prix que coûterait le tissu…
À les lire, tu croirais avoir une qualité de très niveau comme seul le Japon le fait… j’en ai discuté avec un ami qui est plutôt expert en achat sur Taobao, la qualité est sympa pour le prix chinois oui mais rien de fou.
A titre d’exemple, une petite marque chinoise faisant du workwear military à prix très contenu qui a fait ses armes sur Taobao : Bronson. Je te la recommande d’ailleurs si tu n’as pas le budget pour les gros labels du genre.
Bronson est deux crans au-dessus, stylisme et finitions que les marques vendues sous l’étiquette Qube Paris. Regarde le prix des chemises :
Je ne me serais pas amuser à taper gratuitement sur un projet vêtement si cela n’avait pas été une arnaque d’une telle ampleur. C’est simplement hallucinant de se moquer autant des gens en utilisant des procédés de vente qui sont de vraies machines à transformer les mobinautes en clients.
Je vais maintenant te montrer rapidement comment ils s’y prennent.
L’acquisition par le social advertising : arnaquer sans pression le consommateur
Avant l’explosion des réseaux sociaux et l’achat publicitaire dit « social », ce genre de projet avait peu de chance de réussir.
Ou alors il fallait acheter de grosses bases mails.
Aujourd’hui avec l’outil publicitaire Facebook (et donc Instagram), Qube Paris peut cibler sans aucun soucis des choses comme :
- un utilisateur qui suit un compte X
- un utilisateur qui suit un hashtag Y
- un utilisateur selon son âge / sexe / région
Ce n’est qu’une partie du champ des possibles mais ça te donne un idée.
Là, je vais faire des suppositions partant du fait que c’est via de la publicité sur Instagram qu’on les a découverts.
On peut, sans être mauvaise langue, se dire que s’ils ont singé la façon de vendre un produit de BonneGueule et Asphalte, cibler leurs followers est la première chose à faire. On y ajoute un ciblage sur le #workwear et on ne garde que les hommes de plus 25 ans par exemple. Oui, faut du blé pour poser 280e sur un work jacket faite en Chine.
A partir de ce cluster, il n’y a plus qu’à ouvrir les vannes et balancer des euros.
Tu vas toucher des milliers et des milliers de clients potentiels sans que cela ne te coûte grand chose. En margeant entre 10 et 20, je peux te dire que tu n’as pas besoin de stresser. Deux ventes, ils remboursent 40 vestes à l’achat…
L’acquisition via ce levier est parfaitement maîtrisée par ces modèles en plus. Ils ont d’ailleurs peut-être suivi les cours de la boîte de mon ami Luca (et de son génie d’associé Robin).
Voilà comment en 2020, tu peux vendre de la merde sans être inquiété une seule seconde.
Bonus : Qube Paris confirme tout à l’écrit
Les preuves de la supercherie sont accessibles en 3 clics depuis Google. Malgré cela, peu feront la démarche de chercher. Notre époque est comme ça et en arrivant sur un site chinois, ça refroidit d’autant plus si l’on n’est pas un peu geek.
Quand on a vu ça, on a d’abord pensé qu’il s’agissait d’un troll, du moins d’un vrai projet scolaire où les étudiants auraient bûché le truc avec un petit budget. Cela expliquerait les approximations et fautes d’orthographe (pourtant je n’ai pas fait le ghost-writter haha).
On les a contactés sur Instagram, je te laisse avec nos échanges :
Je n’ai pas de mot pour qualifier cette façon de penser et de faire.
Apparemment ils font des ventes, j’ai du mal à croire cela possible à ce prix.
Voilà où mène le marketing du superlatif couplé à l’acquisition via le social media quand il n’y pas de morale ni de principe derrière.
Pas de test et tu as mon avis sur Qube Paris, arrêtons les frais
Le marché chinois regorge de marques qui copient leurs homologues japonais et vendent cela pour quelques dizaines de dollars sur Taoboa. Ce marché n’est pas destiné à l’Europe mais il est facile, en creusant un peu, d’acheter dessus. Alors, en étant malhonnête, on peut faire de la revente facilement sur nos marchés occidentaux.
C’est le cas de Aesthetic Hommage évoqué dans l’article sur la noragi, qui revend des contrefaçons / fake de Visvim, Kuon et autres labels, le tout mélangé à des trucs inspirés sans être de pures copies.
Qube Paris fait la même chose, de l’achat / revente en pratiquant des prix 10 à 20 fois supérieur aux prix où toi et moi pouvons les trouver par nous-mêmes.
Là où est le drame, c’est qu’ils utilisent les leviers du marketing digital couplés à cette tendance du marketing du superlatif (et je n’ai pas évoqué la carotte avec les fausses pré-commandes). On te décrit un truc de fond en comble et ça en met plein les mirettes aux consommateurs.
Au final, le client se retrouve avec un produit qualité Gap qu’il a acheté le prix d’une pièce Orslow !
Le danger est réel de voir ce modèle grandir et se propager en France. Parce que si BonneGueule, le précurseur, a un Benoît passionné à sa tête et qui aime vraiment le produit, les autres aiment surtout le fric.
Et de là, on peut vite utiliser ces techniques à des fins moins nobles.
Qube Paris est un exemple caricatural de ce que peut donner tout cela entre les mains de gens peu scrupuleux. Heureusement qu’ils ne comprennent pas grand chose aux vêtements, que leur contenu est franchement pauvre et mal rédigé. J’espère que peu tomberont dans leur piège marketing.
Parce que vendre des vêtements chinois achetés 15 ou 20$ en pratiquant des marges de 15 ou 20, ça dépasse l’entendement.
Qube Paris vous vend quand même un veste de travail qui coute 20$ sur le eBay chinois 280e en France.
Ça fait cher le packaging les gars !
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P.S : il n’y a qu’un seul Qube et il est belge ! C’est mec gentil profondément honnête et surtout très talentueux. On aura l’occasion de parler de ses projets bientôt. Je t’invite à le suivre sur son Insta !