Je suis de nature oppositionnelle, je crois. C’est à dire que je pense d’abord « contre » les choses. C’est l’ami Joachim qui me l’a récemment fait remarquer, fondateur d’Aïdama (et plus important encore, hôte de la nouvelle formule du podcast We Talk Sape, dont le premier épisode est d’ailleurs en cours de montage), alors que je m’emportais — en forçant un peu le trait, comme d’habitude — sur un sujet sapologique probablement insignifiant. J’essaye depuis de me soigner, de tempérer un peu ma radicalité. De penser « j’aime ça » plutôt que « j’aime pas ». Malheureusement, mon retour sur le média après deux mois d’absence, car comme la plupart des fashions j’hiberne l’été, n’est pas forcément synonyme d’un enthousiasme renouvelé. Nos goûts sont avant tout des dégoûts. Et j’admets honteusement que le dégoût est chez moi une source inépuisable d’inspiration.
Alors, avant de parler de ce que j’ai hâte de porter cet automne, commençons par ce qu’il faudrait peut-être laisser dans son panier pour la rentrée, histoire de prendre de l’avance sur les bonnes résolutions.
Collection Uniqlo U Automne / Hiver 2025 : Superposer, « Innover »
Je défendais encore l’année dernière Uniqlo U, ligne « créa » chapeautée par le designer français Christophe Lemaire, comme une offre sérieuse de l’entrée de gamme. Je soulignais sa longévité, sa grande cohérence saison après saison. À l’été 2025, idem : heureux de retrouver ces monochromes apaisants, rendus accessibles au plus grand nombre, qui fonctionnent si bien chez le designer. Pantalons bien amples, cols montants, chemises workwear lemairiennes, palette de tons « terre » et une note d’intention : « Superposer. Innover ». Sur le papier, la collection Uniqlo U automne / hiver 2025 partait pas mal. Enfin, jusqu’au terme « innovation », un peu inquiétant. Celui-ci ne voulant généralement pas dire « on ralentit, on exploite moins » ou « matières naturelles teintes au fruit du plaqueminier ».
L’intuition était la bonne. L’innovation chez Uniqlo U ? C’est le polyester. Mais pas n’importe lequel : le polyester recyclé. Et oui, ça change tout. Voilà donc ce dégoût dont je parlais plus tôt : le plastique à la place du coton, présenté comme un futur désirable. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Fast Retailing, le groupe propriétaire de la marque, qui nous promet plein de plastique « écoresponsable » à l’horizon 2030. Toujours mieux que le coton récolté par les esclaves ouïghours, certes. Mais c’est aussi admettre qu’ Uniqlo ça n’a pas toujours été ça. Oui, on connaissait « Airism », « Easy Care » et et autres termes bullshit signifiant « je pue au bout de dix minutes » ou « je suis une laine horrible qui fait semblant d’être douce grâce à un traitement en usine ». Mais jusque-là, les matières naturelles restaient prédominantes.



Innovante, la collection automne / hiver 2025 chez Uniqlo U nous invite donc à pratiquer avec assiduité le layering de pièces en polyester, mais aussi en acrylique (la fibre synthétique la plus nulle que tu puisses imaginer), en polyamide (parce qu’évidemment, la laine présente à 5% dans la compo a besoin d’être « renforcée » !). Concrètement : autant porter une grande bâche en plastique pour sortir, le concept est le même. Tu as (trop) chaud, tu transpires, tu as froid, puis ça commence à sentir. C’est sûrement ça, le gorpcore, la « technicité japonaise ». Ça doit flipper chez nanamica et Daiwa Pier.
Reste quelques pièces qui échappent au downcycling. J’aime bien le chino large, disponible depuis quelques temps déjà (à éviter absolument en noir, coloris qui comme d’habitude accroche toutes les poussières). La veste en denim est sympa. Et puis… c’est à peu près tout. Le velours du pantalon ample est fin, sec au toucher. La laine fait à peine illusion avant le fatidique premier lavage. Bref : c’est le royaume du cheap, du jetable à ne surtout pas jeter. Car rien de tout ça ne sera recyclé dans un futur proche, en dépit des belles promesses.
Dupe Culture
On pourrait très bien dire : « On s’en fout, c’est pas cher ». Ou encore : « Tu ne peux pas en demander plus à ce tarif ». Il est vrai que l’explosion des prix post-COVID — matières premières, transport, énergie — explique en partie la baisse de qualité générale qu’on observe sur le marché. Mais le problème, c’est qu’il sera bientôt impossible de s’habiller correctement retail avec un petit budget. L’écart se creuse, les options diminuent. Et la Dupe Culture fait croire à une démocratisation du style. Zara emploie les meilleurs photographes du milieu. Shein paye grassement des influenceurs (et l’ami Castaner) pour faire passer son prêt-à-jeter pour un choix malin.
Dire qu’Uniqlo U pouvait compléter un vestiaire Lemaire n’était pas une exagération. Sur les réseaux, les pièces virales de la marque s’arrachent et n’ont jamais été aussi populaires. L’idée qu’on puisse s’habiller très bien pour pas cher reste prévalente — et surtout séduisante. Mais je ne crois plus que ce soit vrai aujourd’hui : la promesse d’une bonne affaire s’évapore dès que le premier bouton saute.