SSStein : première Fashion week parisienne et cuir modeux

Lancée en 2016 par Kiichiro Asakawa, designer autodidacte à la tête de l’excellente boutique tokyoïte carol, la marque japonaise SSStein a défilé pour la toute première fois à Paris en janvier dernier. Sortant à son tour des coulisses pour affronter les projecteurs et nourrir la glose, affirmant une ambition internationale qui rappelle immédiatement l’ascension fulgurante d’Auralee, présentée à la Fashion Week parisienne seulement un an plus tôt.

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SSStein automne / hiver 2025 et veste en cuir FW24

Un premier défilé parisien de la marque japonaise SSStein pour l’automne/hiver 2025

Coupons court à la comparaison. Il est peu probable que l’on voie de sitôt des fringues SSStein bradées sur les portants encombrés du shop à la sélection la plus dérivative de ton quartier. Je ne dis pas que c’est tout à fait le cas d’Auralee, mais le risque est là. Kiichiro Asakawa, qui a fait ses armes dans le retail et affûté son œil en déconstruisant des pièces de seconde main, sait qu’il faut prendre son temps dans une industrie qui encense pour mieux délaisser.

Et passer à autre chose. À la « nouvelle pépite japonaise ». La prochaine révolution. À ces marques dans l’ombre exposant leurs créations dans ces showrooms en marge où se réunissent, loin de l’agitation, « ceux qui savent »SSStein garde un pied dans les deux mondes, figurant au calendrier alternatif. Elle défile et se voit presque adoubée par les instances légitimes, mais reste fondamentalement une marque de niche qui attire le non-initié… Puis le repousse dans un même geste.

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Veste en cuir SSStein
SSStein marque japonaise
Paris fashion week AW25

Mensongère nonchalance

Nul besoin de jouer au gatekeeper. Les revendeurs internationaux sont triés sur le volet, Kiichiro Asakawa s’attachant à nouer des liens solides et personnels avec ses acheteurs. Si les prix n’ont rien de scandaleux au Japon, ils deviennent bien plus salés après importation. Quant aux collections elles-mêmes, faussement accessibles, elles excluent d’emblée tout amateur de soft tailoring plus enclin à suivre l’école Drake’s et les rassurantes traditions qu’à se plonger dans les expérimentations lemairiennes.

Car voilà le grand mensonge de ce que l’on qualifie d’effortless ou de « naturel » : quand tout semble si facile à porter. Lorsque l’exercice du layering est si pointu qu’il en devient une seconde nature. Tout l’art de SSStein réside dans cette façon d’en faire trop sans jamais dévoiler la recette. Élaborée avec une attention méticuleuse, dans une maniaquerie revendiquée par Asakawa lui-même. Pas de place pour le hasard : de l’orientation des projecteurs de la salle vitrée du Palais de Tokyo aux superpositions lascives, mais millimétrées, de cuirs, cachemires, gabardines de laine, flanelles et denim usés là où il faut.

Veste en cuir SSStein FW24 : saisir l’essence de la marque japonaise en une seule pièce

Si commenter en détail la collection SSStein automne/hiver 2025 ne serait pas déplaisant, tant tout cela me parle, ce n’est pas tout à fait le sujet du jour. Ces quelques mots d’introduction à la marque vont prendre une tournure plus concrète : une veste en cuir de la collection hiver 2024 m’est parvenue, magie des fins de soldes. Et il me semblait intéressant d’en parler, de la montrer, malgré un retour à l’expéditeur (j’y viens plus tard). D’abord parce que, tu l’auras compris, les vêtements SSStein ne courent pas les rues et sont donc rarement visibles sur des gens « normaux ». La norme, dans le meilleur des cas, c’est du vieux cuir de fripe. Plus souvent, du simili tout brillant de fast fashion. Peu de beaux cuirs dans les rues, même classiques. Et encore moins « modeux ».

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  • SSStein fall winter 2025 leather
  • Short bonded leather jacket goat wool black x black

Mais aussi parce qu’on ne peut pas sérieusement parler fringues en restant dans l’abstrait. On ne comprend pas une marque, un créateur, en se contentant de bouffer du lookbook et des interviews. Et certaines pièces sont justement à considérer comme des « sommes ». Parce qu’elles permettent de saisir l’essence d’un travail, sans le vernis marketing. Pour le formuler une fois encore : les fringues créa de qualité, contrairement aux chiffons sans âme et au faux luxe, ont plein de choses à nous dire. Je pense à mon jean Taiga Takahashi, au manteau « Atlas » Arpenteur, aux pantalons à pinces Evan Kinori… Et en ce qui nous concerne aujourd’hui : la bien nommée Bonded Leather Short Jacket par SSStein.

Le punk n’est pas ce que tu crois

Une réinterprétation du Perfecto (ou Dual Rider), l’iconique veste en cuir à fermeture croisée, inventée par Irving Schott en 1928 pour les motards en Harley et remise au goût du jour par Hedi Slimane chez Yves Saint Laurent à son apogée dans les années 2000. Cropped, maximaliste, slim, brut : autant d’adjectifs qui définissent le Perfecto originel. Mais ici, oublie tout ça. SSStein en propose une lecture radicalement différente : une coupe oversize et allongée, des épaules tombantes (drop shoulder), et surtout, une absence totale de hardware – ni boutons, ni zips – sur une pièce pourtant habituellement reconnaissable à la surabondance de ferraille.

Tenue homme hiver veste cuir japon
Veste SSStein, pull MHL, pantalon Auralee, bottines Our Legacy

L’esprit punk et joueur de Kiichiro Asakawa, ce côté edgy qui distingue nettement SSStein de marques comme Auralee ou Aton, ne repose pas seulement sur le noir, le cuir ou les vêtements troués. Il s’exprime surtout par une posture à contre-courant, un rejet du cliché, une prise de distance avec ce que l’on attend d’une « marque japonaise haut de gamme ». SSStein brûle les idoles – Marlon Brando et tous ceux qui ont suivi – et impose sa propre vision, loin de la logique de « repro » et d’hommage qui a fait, et continue de faire, le succès de tant de labels nippons. Pièce « premier degré » par excellence, le Perfecto est le candidat idéal pour cette entreprise de déconstruction.

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  • ST923

Hybridité et gimmicks

Asakawa délaisse ainsi l’épais et rustique cuir de cheval, matière emblématique du Dual Rider, pour une construction atypique : un cuir de chèvre bonded, c’est-à-dire « collé » ou « contrecollé », doublé d’une belle flanelle de laine. Si le terme Bonded leather (et la colle) ne suscite pas vraiment confiance, notamment dans l’industrie du meuble, il désigne ici ce qu’on appelle plus couramment « double face » dans le monde du vêtement. Il s’agit par exemple de l’assemblage de deux épaisseurs de cuir pour obtenir un rendu plus soigné, tout en jouant sur le tombé et le drapé. Un processus coûteux au service d’un concept récurrent chez SSStein : l’hybridité.

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Veste fermée « croisée » et col rabattu
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Sac Uniqlo U

La veste est entièrement réversible, avec des empiècements de cuir ou de laine au col, selon la face portée. De même, les poches se transforment : sur les côtés, veste portée à l’endroit ; ou poches plaquées à la chore jacket, lorsque la veste est portée à « l’envers ».

SSStein reversible leather jacket
Envers en flanelle de laine noire
SSStein st923 wool flannel
Poches plaquées et détails en cuir

La présence de six aimants dissimulés constitue la dernière « surprise » – ou peut-être l’ultime injure à la création de Schott – placés là où l’on trouverait habituellement un zip ou un boutonnage croisé. Ils permettent de fermer la veste, mais aussi le col, de différentes manières : entre-ouverte, plaquée à la manière du Perfecto classique, ou complètement rabattue pour créer un col chemise. Sur le papier, c’est un peu foireux. Surtout sur une pièce aussi coûteuse.

Aimant au col
Avec le col en cuir relevé, envers en flannelle

Mais chez SSStein, cela fonctionne. Car ce choix s’intègre à un ensemble réfléchi et parfaitement cohérent. L’idée n’est pas de faire de l’économie de bout de chandelle en supprimant les zips (la marque en utilise d’ailleurs de très beaux pour ses autres vestes), mais d’offrir une plus grande liberté, une modularité. C’est là toute la différence entre une marque qui se contente de jouer avec des gimmicks cosmétiques ou des twists hors-sujet – bien souvent ridicules – pour convaincre monsieur Tout-le-Monde qu’il achète une pièce « mode », et un créateur qui assume jusqu’au bout sa vision.

« Effortless », vestiaire mono-marque, retour à l’expéditeur : quelques digressions pour conclusion

Qualifier et catégoriser ce que propose SSStein avec des termes génériques n’est pas difficile. J’ai pu lire quiet luxury, « minimaliste », « élégant », « effortless » et bien d’autres mots encore qui ne veulent pas dire grand-chose. Mais la vérité, c’est qu’il ne me semble pas tellement plus facile de porter du SSStein que du Jan Jan Van Essche ou du Rick Owens en dehors de l’univers du créateur. J’y vois le même piège que chez Lemaire. Tout semble familier et facile, intuitif. Les vêtements proposés n’ont pas immédiatement l’air importables pour le commun des mortels.

Défilé SSStein automne / hiver 2024 à Tokyo

Cependant, une logique commune s’applique. Chaque pièce créa, et c’est d’autant plus vrai pour un outerwear, contient une charge « polémique » à son échelle. Des références déjà digérées, assimilées, reformulées. Ce petit quelque chose qui viendra inévitablement détonner avec le reste de ton vestiaire, si tu n’es pas déjà ancré dans un univers très proche. Je pense en tout cas qu’il y a toujours une invitation chez les créateurs, du moins ceux qui m’intéressent le plus, à finir en « mono-marque ». De la tête aux pieds, ou rien.

Aimer sans consommer

Peut-être qu’une autre manière d’apprécier une marque de ce genre, sans brader tes placards sur Vinted à chaque nouvelle obsession, est de continuer à apprécier de loin. Nourrir ton oeil. Parfois essayer. Garder ce qui te correspond, et ce qui est transposable à ta propre démarche. Pas seulement une pièce, ici ou là. Mais des volumes, des silhouettes, des coupes, des associations de matières et de couleurs.

SSStein lookbook
Lookbook SSStein automne / hiver 2024

J’adore SSStein et je trouve cette veste très réussie. Mais elle ne fonctionne qu’à moitié avec tout ce que j’aime déjà. Et ce n’est pas grave. Il y a quelque chose de libérateur à recevoir une pièce, l’admirer, comprendre ce qu’elle représente, la savoir objectivement « meilleure » que tout ce que l’on possède déjà, et pourtant, la remettre soigneusement dans son carton, sans regrets.

Par Nicolas

Fatigue pour les intimes.

Un style pointu et des conseils simples

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