Nous avons fait la connaissance de Loïs Dionisio un peu par hasard. Le soir de l’inauguration de la boutique Bisart à Lyon, en juin dernier, alors que nos divagations, entre deux assaults coordonnés du buffet syrien dressé pour l’occasion, nous ont amenées à arpenter du regard le passage Thiaffait. Concept-stores, énième friperie. Et ce disquaire qui fut un temps mon dealer privilégié. Rien d’inhabituel pour les pentes de la Croix-rousse. Rien de nature à confisquer notre attention.
Et puis, une devanture qui contraste. Celle d’un improbable voisin. Penché sur la table de travail qui domine son atelier, vaste espace de création faisant également office de showroom. À sa droite, longeant le mur, un portant se dévoile à travers la vitrine, suivi d’un cabine d’essayage de fortune. Une invitation, pour nous autres de la race des iconovores, à franchir le seuil et à concrétiser. Vestes, pantalons, chemises, foulards. En vérité l’ensemble de la production de Loïs Dionisio, trois ans après son émancipation de chez Geoffrey B. Small.
Loïs Dionisio et le « vrai luxe »
Il faut une assez bonne raison pour que je daigne affronter la canicule lyonnaise. Denrée rare, vestimentairement parlant, dans une métropole qui voue à l’échec toute entreprise ne favorisant pas l’achat statutaire. Il n’est pas anodin qu’Arpenteur, l’une des plus belles marques du made in France implantée au coeur de Lyon, ne soit pas distribuée dans une boutique de sa propre ville. Je ne veux pas donner de leçon. Car nous avons, nous aussi, pris l’habitude de regarder loin pour nourrir nos fantasmes. Cottle, Buaisou, 45r, visvim pour ne citer quelques exemple japonais. Evan Kinori aux États-Unis. Tender au Royaume-Uni.
Le désir semble toujours doublé d’exotisme. D’une certaine idée de ce que serait l’artisanat, teintée de ficelles marketing et d’abstraits ateliers familiaux au Portugal, à une époque où le « vrai luxe » n’a plus rien à voir avec le luxe. Où il devient si difficile de séparer le bon grain de l’ivraie.
Sous nos yeux distraits, et souvent méfiants, des créateurs français émergent pourtant (je t’ai notamment parlé d’Oliver Church dans la Revue de mode). Et se font remarquer, eux-aussi, par d’autres modeux insatiables à l’autre bout du globe. Loïs Dionisio n’a pas installé sa boutique en Californie ou au fin fond du japon, comme à l’accoutumée. J’avais alors le devoir de me faire violence. Consentir à l’air étouffant du métro. Et tenir une promesse. Je suis ainsi retourné sur les pentes, mon appareil photo autour du cou. Rien dans les poches. Et je suis revenu, le soir, avec quelques clichés pour palier ma mémoire. Afin de mettre en lumière, avec nos modestes moyens, un travail qui mérite certainement davantage de reconnaissance qu’une poignée de followers sur instagram.
Une approche tailleur et créateur pour repenser le workwear français
Formé à l’art tailleur par le créateur Geoffrey B. Small en personne Loïs Dionisio creuse désormais son propre sillon, mettant son expérience au plus haut niveau au service d’un univers qui lui est particulièrement ingrat, ne jurant que par la machine : le workwear. Là où la main de l’homme est valorisée tant qu’elle sert d’intermédiaire avec l’Union Special, la mécanique de tout bon storytelling. Et non pas quand il s’agit de construire une épaule, intégrer une poche directement dans la doublure d’une veste, coudre à la main l’empiècement pointu si caractéristique de la western shirt (pointed yoke). Bien sûr des artisans du denim comme Jean Laumet ou Arthur de Superstitch connaissent aujourd’hui un certain succès en replaçant l’homme au centre. Mais personne, à ma connaissance, ne va aussi loin que Loïs qui s’applique à repenser le workwear dans son ensemble par le prisme de l’art tailleur.
Si l’approche peut paraitre anachronique de prime abord, il y a pourtant quelque chose qui relève ici du retour aux sources. Aux premiers vêtements de travail, antérieurs à l’industrialisation. Au sur-mesure comme standard de production. Le « tout fait main » chez Loïs Dionisio s’inscrit ainsi dans une philosophie paradoxalement proche de ce qu’est le workwear à l’origine. Maitriser la production de A à Z (du patronage à la teinture naturelle, personne ne fait ça en France) permettant au créateur de penser ses pièces dans une optique de durabilité, de réparabilité, de personnalisation. « Future vintage » de feu Taiga Takahashi, « Old Visvim never dies » d’Hiroki Nakamura… Ces slogans qui évoquent en moi le jusqu’au-boutisme typique des créateurs japonais me semblent aussi très bien parler du travail de Loïs. De cette noble aspiration, une certaine quête de l’intemporalité, à créer ce que l’on pourra considérer plus tard comme du beau vintage.
Un singulier ensemble de travail
Une chemise en jacquard de soie lyonnaise, le genre de matière que l’on destine aux métiers du spectacle, indigo dyed par la technique japonaise du shibori (teinture par nouage, couture ou pliage). De lourds boutons en argent (!) réalisés par une artisane locale, ornant une veste de costume en coton/lin patchwork de twill et chevrons à la Engineered Garments sous stéroïdes, également teinte naturellement. Et puis cette fameuse chemise western, déjà mentionnée plus haut, teinte au pastel dans une magnifique matière irrégulière. Aux boutonnières cousues main au fil de soie accueillant des boutons en nacre octogonaux. Chaque pièce a quelque chose à raconter. Chaque détail mériterait son paragraphe.
Je pense qu’il est donc de bon ton de conclure en laissant une place de choix à Loïs. Nous nous sommes mis d’accord pour nous arrêter un instant sur un ensemble singulier, une veste et un pantalon teints à la rouille, de sa collection SS23 « French Americana ».
Par les mots de Loïs Dionisio
Cette tenue est issue de la collection French Americana (Juin 2023), dans laquelle j’ai développé des pièces inspirées par le vestiaire américain en utilisant des tissus iconiques de vêtement de travail français. Il est composé d’une veste Type III et d’un pantalon de travail. Les deux pièces sont coupées dans du Métis (mélange de coton et lin) tissé sur des métiers traditionnels du vêtement de travail Français, à trois heures de mon atelier.
La veste reprend les détails de la traditionnelle veste en denim Type III : quatre poches sur l’extérieur, un corps court et une coupe droite. Les pièces qui composent cette veste alternent entre le chevron et le sergé, c’est un procédé que j’utilise beaucoup dans mes pièces, ajoutant de la complexité visuelle sans pour autant donner l’impression d’être habillé en arlequin. J’utilise deux tissus composés des mêmes fils, avec seulement une alternance dans l’armure de tissage, me permettant d’avoir une teinture homogène et seulement un changement de texture / prise à la lumière. Cette veste est assez technique, avec une manche en une pièce incurvée, montée à la manière d’une veste tailleur, et de nombreux détails de construction faisant référence au reste de mon vestiaire.
Le pantalon bien que d’apparence simple, est aussi une pièce complexe. Composé d’une jambe incurvée en trois pièces, le genou est formé par le patronage et la découpe en spirale. Il reprend la construction de poches en biseau que j’ai développé en fil conducteur de mes créations.
Une fois confectionnées, les vêtements reçoivent une teinture à la rouille, imprimant durablement l’empreinte d’objets sur le tissu. Pour completer la démarche, j’ai choisi de bruler partiellement les boutons en corne, donnant une harmonie aux pièces, qui semblent venir d’un autre temps. Malgré une forme apparente de pièce workwear, la construction de ces pièces est plus proche de celle du tailleur, avec de grandes valeurs de coutures et finitions au biais permettant la retouche et l’ajustement à la taille du client, ainsi que des finitions typique du monde sartorial, comme les boutonnières cousues à la main au cordonnet de soie.
Pour aller plus loin
La boutique-atelier de Loïs Dionisio est à retrouver à Lyon au passage Thiaffait, dans le premier arrondissement. Du mardi au samedi, de 11h à 19h. Tu peux également contacter directement Loïs via instagram ou son site internet si tu as des questions à propos de ses pièces. Si tu es de passage à Lyon, je te conseille vivement de lui laisser une petite place dans ton emploi du temps pour voir tout ce que je t’ai montré ici de tes propres yeux ! Enfin, je te laisse avec une interview vidéo réalisée par LUCENTEMENT, le média des marques d’avant-garde, à l’occasion d’un showroom parisien. C’est en trois parties et c’est passionnant.