Les sorties Uniqlo U, la ligne « créa » de la marque japonaise dirigée par les designers français Christophe Lemaire et Sarah-Linh Tran depuis 2016, se suivent et se ressemblent. Tout comme les commentaires qui les accompagnent. Soulignant, inlassablement, que la collection de l’année en cours est « la même que la précédente ».
Puis il y a ce phénomène assez paradoxal et récurrent : l’apparition d’une flopée de vidéos review de youtubeurs anglophones interchangeables qui adorent commander toutes ces pièces présumées inintéressantes (car il n’est pas nécessaire d’hypothéquer la maison à chaque drop, comme chez Lemaire). Du haul déguisé permettant de tout mettre sur la miniature, si possible sur un portant minimaliste posé devant un mur blanc. Vient ensuite le temps des fitsaléatoires, du passage obligé sur l’airism oversized tee (ou le meilleur t-shirt au monde, surtout si tu es payé pour le dire) et d’assemblages qui ont le mérite de nous faire voir d’un oeil nouveau les lookbooks officiels.
J’éprouve alors une certaine lassitude avant même avoir commencé à aborder le sujet de la cuvée automne / hiver 2024. À nouveau tout semble avoir été dit et montré dans une énième grande opération commerciale faussement spontanée, saveur user generated content, à la gloire de la surconsommation.
Uniqlo U FW24 : Fast-fashion, slow style ?
Prenons un peu de recul, émancipons-nous de la mécanique sous-jacente. Car j’ai l’impression que le statut singulier d’Uniqlo (« c’est pas pareil, c’est japonais ») autorise à reproduire les pires comportements décriés chez les consommateurs d’ultra-fast-fashion. Alors même qu’il faudrait, à mon sens, considérer la ligne « U » comme toute marque de créateur. Dans le temps long. Et oublier un instant les bas prix. Peut-être ne pas acheter une pièce dans tous les coloris disponibles pour finalement n’en porter qu’une seule au quotidien. Et réfléchir à la cohérence de son vestiaire, à la direction que l’on souhaite prendre, avant de se jeter sur trois pantalons balloon ou autre fringue faussement simple à porter.
Car si tous les ingrédients sont réunis pour faire exploser le panier moyen, j’en vois d’autres qui pourraient soigner un éventuel syndrome FOMO (Fear Of Missing Out ou le biais psychologique préféré des marketeux). Deux petites collections par an, un propos dérivé de Lemaire mainline d’une constance rare, années après années, qu’il faudrait davantage célébrer que décrier. Bien sûr tout n’est pas parfait, je pense notamment au choix des matières qui condamne d’emblée de plus en plus de pièces à la médiocrité. Mais Uniqlo U a toujours été et reste pour moi une occasion de ralentir. En profitant de vêtements abordables plus pointus qu’a l’accoutumée pour développer et enrichir son style, pas-à-pas.
Un pantalon en velours ample et slouchy
C’est donc ce que j’ai fait une nouvelle fois cet automne, avec parcimonie et sans remords. D’abord avec un pantalon en velours bien ample qui rappelle immédiatement Gramicci, marque outdoor née dans le petit monde de l’escalade en Californie. La ceinture intégrée en nylon en particulier, complimentant la taille élastique signature du « G-pant » introduit dans les années 80. Quant au reste la filiation est moins évidente. Volume bien plus ample et surtout moins tapered par rapport au modèle présumé, une pince qui vient brouiller les pistes et deux poches arrières à rabat typées workwear avec boutons-pression. Bref, un grand amalgame qui ne donne pas tellement envie de confiner la pièce au style gorpcore. Mais plutôt de retenir ce qui nous intéresse.
Dans mon cas : la belle ligne de jambe et une matière d’un poids moyen au tombé slouchy comme il faut. L’ampleur qui évoque aussi bien des tenues streetwear que workwear-(chic). Et une ceinture qui pourra facilement se faire oublier en renonçant à trop marquer la taille. Bon, il y aussi un potentiel vieillot inévitable. Du gros velours côtelé, une coupe très large, des couleurs sombres…
En dépit de pièces qui ont toutes un petit truc modeux qui fait la différence, il m’apparait maintenant que ma première tenue du jour est à la mince frontière entre le cool et l’inspi troisième âge. Avec un peu de recul je remplacerais probablement les Tricker’s « Daniel » par ma paire de « Camion Boots » Our Legacy, si c’était à refaire. Ou tout simplement par des Converse CT70 noires.
Un cardigan en laine et yak de la dernière collaboration Zara x Studio Nicholson, qui fut un grand cru pour les amateurs de mailles modeuses accessibles. Une parka ample et courte à col montant, bavolet au dos, coupée en « À » comme tout bon outerwear qui se respecte. Qui vient également de chez Zara. Et un sling-bag Uniqlo C en simili-cuir.
Ai-je volontairement construit une tenue uniquement avec des fringues de fast-fashion ? Oui et non. Car ces pièces font partie intégrante de mon vestiaire. C’est la morale du jour, si tu as sauté l’introduction comme un malpropre. Considérer chaque vêtement pour ce qu’il est et non pas seulement s’accrocher aux marques. Déceler le potentiel partout. Exercer son oeil.
Et une chemise fluide oversize comme bonne surprise
Pas tout à fait repu, le mien s’est ainsi arrêté sur une seconde pièce de cette collection Uniqlo U automne / hiver 2024 : la chemise drapée. Un nom qui cette fois m’évoque Daniel Simmons. La marque de l’influenceur britannique éponyme proposant des vêtements simples et bien coupés, collection de basiques à la sauce 2024 pour ceux qui vouent un culte à l’ampleur, aux tailles hautes et à tout vêtement qui peut s’envisager boxy. Au-delà du nom, car Daniel Simmons a aussi une Drape Shirt à nous vendre, la comparaison se justifie par un même choix de matière : le lyocell. Textile artificiel fabriqué à partir de cellulose, de la pulpe de bois d’eucalyptus, qui est une alternative à la viscose. Une nouvelle matière pour la marque japonaise.
Et une bonne surprise. La chemise est étonnamment lourde, épaisse. Mais également fluide et froissant très peu. Même en noire elle a la décence de ne pas accrocher toutes les poussières qui passent, un défaut récurrent et rédhibitoire constaté sur bon nombre de vêtements sombres Uniqlo U. Certains regretteront peut-être le choix d’un col button down plutôt qu’un col classique. Ce n’est pas mon cas, étant un habitué de la coupe Borrowed shirt chez Our Legacy. Ou la chemise de travail de ton pote qui joue à la NBA.
D’ailleurs Uniqlo n’a pas non plus fait les choses à moitié. La chemise drapée devrait te plaire si tu aimes te sentir à l’aise. C’est très ample, long (bien plus que chez Daniel Simmons, évidemment) et globalement vraiment bien coupé. Assez pour que ça ne fasse pas tâche au centre d’un ensemble de pièces qui ne sont a priori pas de la même espèce. Assez pour m’inspirer des associations nouvelles.
Car j’ai justement pensé cette tenue à partir de ce col qui ne semble pas vraiment à sa place, en décalage. M’amenant, par associations d’idées, à une réinvention des horreurs bourgeoises qui peuplent mon imaginaire. Un petit col boutonné. Un petit pull sur les épaules, qui vient contraster. Un chino slim, taille basse et trop court. Une paire de mocassins ou de chaussures bateaux. Tu as l’image en tête.
Voici ma version modeuse pour te la faire oublier (ou regretter, selon ta position dans le clivage). Chemise oversize noire, pantalon Stein extra-wide en laine et cachemire à motif vichy bien à propos, pull mfpen en coton bouclé pour la touche de texture et mocassins Dries Van Noten.
Uniqlo automne / hiver 2024 : s’investir plutôt que consommer
Voilà pour le traditionnel mot de la fin et cet article Zoom un peu différent des autres. Maintenant que tout est sold out ou proche de l’être, deux semaines après l’ouverture des hostilités. Il y aura probablement d’autres collections Uniqlo. D’autres collaborations. D’autres pièces cool à chiner ou parfois à acheter dans une enseigne qu’on évite habituellement comme la peste. Alors garde les yeux ouverts, prend ton temps et choisis avec amour les vêtements que tu achètes.