Le ringard d’hier est toujours le cool de demain. Un principe qui ne s’applique pas uniquement à des vêtements bien particuliers comme le dad jeans ou le sac « banane ». Mais aussi aux matières, motifs, coupes et techniques. Le velours à grosses cotes de ton grand-père. Le tie and dye. Le baggy des 90s. Le flare des 70s. Les créateurs s’emparent du kitsch, du laid, de l’oublié. L’oeil s’habitue à nouveau. Et ta chemisette dragon du marché est un jour redécouverte dans une friperie de quelque métropole européenne. Probablement sur le dos d’un vendeur qui a fait de l’ironie son oxygène.
L’un des revivals les plus intéressants de ces dernières années est celui du vêtement en crochet. Notamment pour sa percée dans le mainstream à l’ère des passagères micro-tendances de niche. Et, en ce qui nous concerne, pour son acceptation (relative) au sein du vestiaire masculin. S’inscrivant dans une transformation de fond de l’approche de la mode homme qui s’aventure à utiliser des matières et méthodes autrefois « réservées » aux femmes. Broderies, soie, mesh et tissus see-trough, laine mohair en hiver… Des choix qui détournent des arguments habituels et expriment une conception moins rationnelle et stéréotypée du vêtement.
Crochet et textiles ajourés : quand la hype s’empare du napperon de grand-mère
Mais ne brûlons pas les étapes. Tu ne sais probablement pas ce qu’est vraiment le crochet, après tout. Ni pourquoi nous sommes passés du macramé posé sur le tube cathodique au gang streetwear chic qui fait la queue chez Aimé Leon Dore. Pas de problème, on est là pour ça.
Quelques définitions et l’histoire abrégée du crochet
Deux grandes manières permettent de créer un textile. Le tissage (weaving) et le tricotage (knitting). Tisser consiste à entrecroiser des fils dans plusieurs directions (de chaine dans la longueur, de trame dans la largeur), la combinaison spécifique utilisée étant l’ « armure ». Tricoter consiste à créer une surface à partir de l’accumulation de boucles de fils appelées « mailles » et formées à l’aide d’aiguilles, selon le « point » (équivalent de l’armure) choisi. On peut tisser et tricoter via des machines. Voilà pour la base. Quid du crochet ? Une maille, un tissu ? Pour le dire de la manière la plus alambiquée possible : c’est une technique artisanale proche du tricot qui ressemble à un tissu se confondant à son tour avec une maille. Je sais, ça fait beaucoup.
C’est un peu plus clair quand on revient aux origines de la pratique, mentionnée dans la littérature du XIXème siècle. Ce qui est relativement récent ! La raison est simple : le crochet est d’abord utilisé comme une technique de substitution à la dentelle (lace) inventée deux siècles plus tôt. Un textile tissé sans trame ni chaine, le support comme le motif étant faits d’interstices. Et réservé aux plus fortunés. On parle alors de « dentelle au crochet » pour l’alternative qui fait illusion. Accessible à n’importe qui possédant deux mains, une aiguille adaptée, une bobine de fil. Et donc aux femmes, s’il fallait le préciser.
La mode post-COVID et tiktokienne : gout pour l’artisanat et le DIY
La pratique se répand rapidement, transmise au sein du cercle familial, au couvent, et enfin par le biais d’ouvrages spécialisés. L’après-guerre puis les années 70 (mouvement hippie) marquent l’âge d’or. Les décennies qui suivent, la tombée en désuétude. Le granny square est alors le symbole d’une époque révolue. Un peu comme ces salles de bains en faience qui agressent la rétine, loin d’évoquer en nous un sentiment de nostalgie. Il faut du temps. Et parfois n’avoir pas connu l’époque en question pour s’affranchir, pour proposer du neuf avec du vieux. Cinquante ans plus tard, le crochet connait une renaissance impressionnante.
Le COVID et le confinement, la formation d’une plus grande conscience écologique chez les plus jeunes générations, la montée en puissance de TikTok, les célébrités du moment, la mise en scène des esthétiques camp et cottagecore, la slow fashion et l’upcycling… Si je ne suis pas en mesure de citer tous les ingrédients qui ont favorisé ce retour en grâce, je pense que la spécificité même du crochet est à souligner : on ne peut pas remplacer la main de l’homme par une machine. C’est la grande différence avec le tricot et les textiles tissés. Le crochet est une activé artisanale par nature. Et quoi de mieux qu’un pull DIY à partager sur les réseaux ? À l’instar des teintures naturelles ou de la broderie, l’élan créatif ne vient pas forcément d’en haut. Et quand un designer comme JW Anderson fait un carton en retrouvant son cardigan grunge en crochet sur les épaules d’Harry Styles, son réflexe n’est pas de spéculer sur la demande. Le pattern est partagé en ligne, libre de droits.
La « Rico Shirt » d’Aimé Leon Dore ou comment faire entrer le crochet dans le vestiaire masculin
Dans sa série « Excited to wear this spring », Guy Derek de Die Workwear introduit son désir d’essayer la chemise en crochet avec un constat qui m’a semblé particulièrement juste :
I’ve also been intrigued by perforated, lace, and crochet shirts. Like many menswear trends , this look became recently through queer culture and has since been remixed to make straight men more comfortable wearing the style
Die, Workwear!
L’idée que le crochet, comme grand nombre de tendances dans la mode homme, a d’abord été un produit de la culture vestimentaire queer. De designers qui s’attachent à faire sauter les frontières du genre. Qui portent un regard différent sur le corps masculin. Et qu’il a fallu par conséquent que les marques « grand public » (comprendre : s’adressant à l’homme moyen) adoucissent le propos, empilent les références viriles et justifient l’écart. Si le crochet permet ainsi théoriquement une très grande liberté créative (formes, coupes, types de vêtements), l’offre se résume assez concrètement à des t-shirts, des polos et des chemises amples.
Cette neutralisation du potentiel subversif queer et féminin du crochet dans le vestiaire masculin est à mon sens rendue possible par le compromis incarné par les pièces en elles-mêmes. Entre ce qui relèverait du pragmatisme d’une mode utilitaire et du déraisonnable de la recherche esthétique pure. Avec cette question qui revient cycliquement : que porter en tant qu’homme en été sans crever de chaud ? Un tissu ajouré n’a pas qu’une fonction visuelle. Il est pratique. Il permet le layering. C’est donc un choix masculin, raisonné. Véritable phénomène dans le petit monde du streetwear chic, la « Rico Shirt » d’Aimé Leon Dore a posé les fondations. La chemise en crochet n’est plus qu’une option supplémentaire que Zara, H&M et les autres peuvent copier sans crainte. Pas loin du basique inoffensif.
Quelles marques pour du crochet cet été ? Recommandations et tableaux d’inspiration
Si le terme « basique » est peut-être un peu fort, le jour où tous les hommes portent des vêtements ajourés dans la rue n’est pas arrivé, je voulais surtout constater que la pratique du crochet et ses dérivées ont véritablement trouvé leur place au sein des collections de prêt-a-porter. Ce n’est pas de la tendance abstraite de Fashion week. Ni des choses que l’on retrouve uniquement sur des comptes Etsy d’artisans. L’offre est pléthorique. Appelle au tri et au moodboard.
Do It Yourself
Et je voudrais tout naturellement commencer par mettre en avant des marques qui s’inscrivent dans la mouvance ou plus largement l’esthétique Do It Yourself qui est le propre du crochet. Cet artisanat qui voit d’abord le jour comme un passe-temps non-industrialisable. Un éloge de la lenteur, de la création et du travail minutieux. En somme, le vrai luxe tel qu’on peut encore le concevoir. Celui qui transparait quand je tombe sur la vidéo d’un pratiquant du crochet sur TikTok s’amusant à faire les comptes en réponse à des questions légitimes : comment acheter ta création ? Combien pour ce pull ? Est-ce que tu as une boutique en ligne ? Une fois les heures de travail additionnées, rémunérées fictivement au SMIC, les chiffres sont plus parlants que les mots. Et c’est avant de considérer le coût de la matière. Une belle laine, ce n’est jamais donné. BODE, peut-être la marque américaine de niche la plus hype du moment, est l’exemple parfait si tu te demandais quelle était la véritable valeur d’un travail à la main dans la mode d’aujourd’hui. Il en est de même pour Karu Research, Harago et Story MFG. Trois labels qui mettent l’accent sur des processus de création respectueux de l’environnement et des pièces vraiment pas banales.
Streetwear chic
Traditionnellement réalisés avec des fils blancs ou écrus, les ouvrages en crochet ne prennent des couleurs qu’a partir des années 60 et 70. Une époque qui voit l’utilisation de matières plus épaisses et de réalisations qui vont de la robe à fleurs aux coussins et aux couvertures. Faire dans la sobriété en revenant aux simples motifs ajourés est ainsi une manière assez simple d’inscrire un vêtement tissé à interstices ou en crochet dans un registre plus chic que bohème. Le choix du milieu du grown up streetwear, ces marques qui ont calmé le jeu de la logomania et qui se détournent de la clientèle hypebeast, préférant les pantalons à plis marqués et les mocassins. Aimé Leon Dore, About: blank et Kith en tête de file. Sans oublier les acteurs historiques. Attention cependant à l’utilisation parfois abusive du terme « crochet ». La norme est, sans grande surprise, de faire du faux crochet (c’est à dire tissé) chez toutes les marques de fast fashion qui cassent les prix. Et c’est dans le meilleur des cas. Une vraie fringue en crochet pour quelques dizaines d’euros est fatalement synonyme de sweatshops et de conditions de travail déplorables. À consommer avec modération.
Le mot de la fin
Voilà pour mes arguments ! Si tu es convaincu et prêt à mettre le pied dans le merveilleux monde du crochet, commencer par parcourir les sélections de Mr Porter, Endclothing et SSense est une bonne idée.
Dans la continuité du thème « ne pas trop souffrir cet été », je te conseille également nos sélections chemises à manches courtes, t-shirts et débardeurs. Ah, et on oublie pas le tote bag avec la chemise en crochet. Il ne te reste plus qu’a ouvrir une chaine youtube et faire des reviews des prochaines collections Uniqlo U devant ton mur blanc immaculé. De rien.
