Si tu as été attentif ces dernières semaines, peut-être as-tu remarqué qu’une certaine marque française commençait doucement à prendre ses quartiers dans la rotation de pièces hivernales du patron des lieux : Arpenteur. Sur le média comme sur le compte Instagram se sont multipliés les signes avant-coureurs d’une collaboration qui nous tenait à coeur depuis déjà trop longtemps. Et qui débute, ou plutôt se concrétise « officiellement », avec ce tout premier article. Notre retour sur une collection automne / hiver 2022 très réussie.
Au programme du jour : quelques mots pour introduire notre vision et notre rencontre avec Arpenteur. Puis une interview avec Laurent Bourven, co-fondateur du label faisant la paire avec Marc Asseilly. Enfin, on terminera par une poignée de pièces de la collection hiver sur le terrain !
Pourquoi Arpenteur ?
Soyons honnêtes, des labels qui nous font véritablement vibrer comme peuvent le faire au quotidien un Engineered Garments ou un Visvim se comptent sur les doigts d’une main. L’idée d’approcher Arpenteur, l’un des rares acteurs français du milieu à nettement se démarquer, et d’aller plus loin que les brèves de mode intermittentes était alors pour nous toute naturelle. Avec l’intime conviction que la marque ne se voyait que bien trop peu représentée, notamment en France. Qu’une exposition sur notre média s’adressant à des passionnés pourrait peut-être changer un peu la donne.
Oublier les préconçus
Car au-delà des articles aux titres redondants et à tout cet imaginaire du made in France avec le bleu de travail comme image d’Épinal, il y a une marque qui ne s’est pas arrêtée à la chore jacket bleu de chine, la marinière brodée ou au t-shirt à drapeau tricolore. Ce que l’on aurait parfois tendance à oublier tant il est facile d’abuser de qualificatifs réducteurs et de catégories stylistiques aussi pratiques que vides de sens. Car parler de made in France, de « workwear français » et de « vêtement de travail » n’est pas plus pertinent pour décrire ce que fait Arpenteur aujourd’hui que de parler de « military », d’ « outdoor » ou de « casual-chic ». La liste est longue.
Notre approche du vestiaire Arpenteur est donc à l’origine animée par une forte volonté de le faire sortir de ses carcans, aussi bien par les images que par les mots. Ce qui implique de refuser des facilités d’écriture dont on peut parfois se rendre coupable. Difficile de penser (rapidement) sans catégoriser. Difficile de catégoriser sans essentialiser une marque à quelques vagues éléments généraux finalement assez peu représentatifs de la réalité. Le travail d’individus qui expriment pourtant via leurs créations une vision toute personnelle et non si aisément réductible à des mots-clés.
Rencontrer c’est comprendre
Et quand on cherche à retranscrire le plus justement possible ce qu’une marque cherche à nous dire, jamais rien ne vaudra une rencontre. Dans le cas d’Arpenteur, cela me semble aussi vrai pour les fringues que pour les personnes qui sont derrière le projet. Un lieu commun, peut-être. Pourtant, beaucoup déçoivent quand le vernis marketing est retiré, la distance abolie. Ici, c’est bien le contraire. Le « mystère » (consciemment entretenu) entourant la marque étant moins une manière de vendre du rêve qu’une invitation à s’approprier personnellement les pièces. Avec toujours cette impression de « neutralité » dans la direction artistique qui ne vient jamais biaiser stylistiquement notre interprétation.
Sans entrer davantage dans les détails quant à la marque en tant que telle pour ce premier article (spoiler : un autre suivra, dans la même série que nos dossiers sur les visions d’Hiroki Nakamura et de Daiki Suzuki), je peux déjà te dire que notre rencontre avec Marc et Laurent au sein de leur atelier lyonnais a été éclairante. Qu’Arpenteur est un label singulier dans le paysage de la mode française. Que du processus créatif jusqu’au produit fini, on est ici bien loin des clichés du made in France qui n’a pour seul argument mercantile qu’un chauvinisme à la mode.
S’approprier une collection
Pour mieux illustrer mes propos, je veux finir par te parler un instant de ma propre « rencontre » avec la collection automne / hiver 2022 du label. Après tout, on est là pour ça. Suivant Arpenteur depuis quelques années déjà (merci les braderies lyonnaises bi-annuelles !), j’ai toujours eu à coeur de perpétuer le même « rituel » : essayer tout ce qui me tombe sous la main et qui pourrait potentiellement me plaire. Ce que l’on n’ose pas toujours faire dans une boutique. Cette année n’a pas fait figure d’exception, avec quelques heures passées à squatter la « cabine d’essayage » de fortune. Et une fois encore, mes impressions finales ont été bien différentes de mon ressenti initial.
Car tout ce que j’ai eu entre mes mains avait « quelque chose à dire ». Cet « imperceptible » perdu au détour d’une fiche produit, d’un shooting, d’une campagne pub. La teinture à l’indigo et les boutons en nacre bleus sur la chemise oversize « Doris ». La douceur de la moleskine sur le blouson court « Evo » à la couture d’épaule si particulière. La chaleur enveloppante et le volume maitrisé de la doudoune « Loft J ». Le tombé de la belle flanelle de l’ensemble workwear – chic « Fox »… Autant de petites choses si importantes qui auraient pu définitivement m’échapper. Des choses qui témoignent d’un grand sens du détail. De l’amour du produit. D’une philosophie parfois injustement effacée derrière un mot-valise. Tout ce qu’on essaye de te transmettre aujourd’hui.
Interview avec Laurent Bourven, co-fondateur d’Arpenteur, à propos de la collection automne / hiver 2022
Arpenteur FW22 c’est 24 modèles et deux à cinq variantes pour chaque pièce. Deux paires de chaussures en collaboration avec Paraboot. Du cuir lisse et du velours. Et aussi un peu plus que tout ça. Alors pour te présenter la collection d’une manière plus intéressante, on a eu l’idée (très originale) de poser quelques questions aux têtes pensantes.
Arpenteur n’est pas une marque qui cherche à tout remettre à zéro à chaque nouvelle collection. Ainsi, chaque nouveauté est toujours un micro-événement. Pouvez-vous nous présenter les nouvelles pièces de cet automne / hiver 2022 ?
Il y a de nombreuses nouveautés dans cette collection : les blousons EVO et TERA (celui-ci accompagné de son pantalon), la veste NIVA, le t-shirt à col roulé ORLO, les deux parkas ACTIVE C et ACTIVE J, le blazer FOX (et son pantalon), le pull DYCE, le bonnet VICKO, et la chemise YACHT !…
C’est la dernière collection que nous avons présentée en période COVID (sans showroom physique) et cela nous a permis de décaler de quelques semaines la présentation, et donc de travailler un peu plus les modèles sans date butoir sur le planning. Là où précédemment nous nous arrêtions dans le développement d’un modèle en sachant qu’il ne serait pas au point pour la marketweek, nous nous sommes dit « allez, on va au bout ! » D’où le plus grand nombre de modèles cette fois-ci.
shopcanoeclub.com
Si la majorité des modèles introduits reviennent année après années à la manière de « permanents », il semble y avoir chez vous une vraie logique d’amélioration du produit existant. Pouvez-vous nous parler de quelques changements significatifs, visibles comme invisibles, qui ont été pensés sur les pièces qui sont de retour cette saison ?
Je prendrais l’exemple de la veste NIVA et du manteau MEVI. Le modèle NIVA découle de la veste ADN que nous avions sortie au printemps 2022 dans une version pourvue de larges poches à soufflet. Précédemment, l’ADN possédait des poches plates « classiques » à angles cassés, et nous avons donc fait évoluer ces poches pour obtenir un vrai relief qui modernise le modèle. Il nous semblait intéressant de le prolonger sur l’hiver, et dans une laine pour mieux coller à la saisonnalité.
glasswingshop.com
Quant au MEVI, il était présent depuis plusieurs années dans nos collections mais nous n’étions plus satisfaits de la capuche amovible, qui ajoutait trop d’épaisseur à l’encolure et potentiellement de l’inconfort. Nous avons donc retravaillé le bloc capuche en supprimant complètement le col mais en conservant le contraste en nylon et ouate. Le reste du corps (volume, matière, détails de montage) est inchangé.
Depuis 2011, vous êtes accompagnés d’un illustrateur représentant du mouvement « ligne claire » popularisé par Hergé, Régric. J’ai cru lire dans une précédente interview que vous imaginiez chacune de vos collections à partir de croquis et de planches de BD. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Régric a été partenaire de notre marque dès les débuts, et nous avions en effet les premiers dessins de sa plume finalisés avant d’avoir les premiers prototypes ! Mais il n’est pas du tout à l’origine de nos designs ni du noyau des collections. Ces illustrations sont un pendant graphique d’une garde-robe, et même si l’on retrouve généralement les modèles d’une collection portés par les personnages mis en scène dans les dessins, il est important de bien décorréler les deux.
regric.canalblog.com
Quelles sont vos principales inspirations pour cette saison ?
Nous ne mettons pas au point une collection en ayant un thème très précis en tête comme « la ville », « la mer » ou encore « les années 70 ». Les inspirations sont plus évanescentes et peuvent dépendre de nos intérêts du moment. Il s’agit parfois d’un seul détail donnant naissance à un modèle. Puis on réfléchit aux modèles qui peuvent venir s’y greffer. Tout en gardant nos classiques, et c’est là qu’il devient difficile de rester entièrement cohérent.
Ce sont généralement les couleurs et les matières qui scellent les modèles entre eux. Nous agençons la palette d’une saison de manière assez arbitraire, en ajoutant ou retranchant l’une ou l’autre. C’était le cas avec le noir, le gris-olive et le gris-rose de l’Hiver 2022. Puis nous associons une ou plusieurs couleurs à nos matières selon ce qui fonctionne le mieux ou bien est techniquement possible.
Chez Arpenteur une logique de « drop » semble s’être installée. Est-ce un choix délibéré ? Ou une réponse aux logiques actuelles de la production / au contexte économique ?
Il s’agit plutôt de suivre une logique de production, en fonction du planning de sortie des différents ateliers. Nous tâchons dans la mesure du possible de leur faire confectionner en premier les modèles d’automne, en terminant par les manteaux (ce qui a bien été le cas cette saison), mais parfois les aléas de la production en vont autrement. Les modèles TERA et NIVA ont été lancés tardivement, ce qui n’était pas notre souhait au départ.
feets.store
Cela nous permet en effet de rythmer la saison sur le site, mais nos revendeurs partenaires préfèrent généralement recevoir l’ensemble de leur commande en une seule fois au début de saison, ce qui peut s’avérer délicat dans la gestion de la production !…
chcmshop.com
L’hiver 2022 chez Arpenteur est à nouveau synonyme de l’introduction d’un modèle exclusif en collaboration avec Paraboot : la derby « Mirage ». Pourquoi avoir une fois encore choisi de repenser la silhouette de la Chambord ?
Nous affectionnons particulièrement le modèle Chambord, qui peut plus facilement nous servir de « page blanche » chez Paraboot par rapport à d’autres modèles (comme la Michael par exemple). Avec le modèle MIRAGE, nous avons essayé de simplifier au maximum le dessin du modèle, tout en lui conservant sa silhouette générale, et bien sûr son plateau, qui reste un attribut essentiel. Nous espérons avoir réussi !
arpenteur.fr
Peut-on espérer revoir un jour d’anciens modèles comme la « Cambriole » ou l’ « Elevage » ?
L’ ELEVAGE est resté longtemps en lice pour la collection AH23 mais a finalement été écarté. Il n’est en effet pas impossible que nous reprenions certains anciens modèles à l’avenir, mais cela dépend beaucoup du contexte d’une collection, et des faisabilités industrielles au sein de l’usine Paraboot…
1ldkshop.com
La collection Arpenteur FW22 en quelques pièces
Après ce tour d’horizon de la collection d’hiver, terminons par la traditionnelle partie travaux pratiques ! Ou freestyle, selon ton école. C’est à dire le moment où les images supplantent les mots, avec une mise en lumière de quelques pièces récupérées pour l’occasion. Un choix difficile, car les vêtements d’hiver sont la véritable force du label. En tout cas pour ceux qui comme moi préfèrent les poches doublées en velours et la laine melton au ripstop de lin…
Ayant le souci de structurer l’ensemble et de ne pas te noyer sous les photos, j’ai distribué les six pièces choisies et portées ici par Boras en deux catégories : les « basiques » ou fondations du vestiaire, et les outerwear, à porter… par dessus tout le reste.
Repenser les fondamentaux
Et quoi de mieux que de commencer par des pièces épurées pour bien comprendre Arpenteur ? Une marque aux collections réduites et sans déchets, aux coloris choisis avec parcimonie, aux matières soignées. Je retrouve ici une simplicité et un soin que j’admire tant chez Document, Orslow ou Still by hand.
Cette capacité si précieuse à créer des designs polyvalents, sans jamais en faire trop. Avec un équilibre qui permet de ne pas diluer « l’identité Arpenteur » dans du passe-partout, ou de finir par émuler les codes d’une autre marque. Une sobriété visuelle assumée qui laisse parler des coupes décontractées reconnaissables au premier coup d’oeil.
Chemise Doris
Pièce la plus classique de la garde robe masculine, la chemise blanche n’est pas toujours le vêtement le plus excitant proposé par une marque. Surtout quand elle est conçue comme une pièce plus utilitaire (comprendre la chemise de bureau ou d’occasion) que plaisir.
Ce n’est pas le cas ici avec la « Doris ». Volume très généreux, longueur parfaite pour faire de l’oversize, deux poches poitrine bien senties. On est pas loin d’un Evan Kinori.
T-shirt col montant Orlo
Nouveauté de l’hiver 2022, le t-shirt en maille à manches longues et col montant « Orlo » est un choix très intéressant pour faire du layering.
Comme de nombreuses pièces Arpenteur qui ne dévoilent leurs qualités qu’a l’usage, les t-shirts en maille dite « Rachel » sont parmi les essentiels de la marque. Une maille jetée en coton peignée, lourde et douce, réputée pour être très résistante à la déformation utilisée pour les marinières de la Marine Nationale.
Pantalon en denim Eddie
Dernier choix hors catégorie cette fois avec le pantalon « Eddie » qui n’a pas grand chose du « basique » comme on l’entend d’habitude. Il aurait été dommage de ne pas mettre en avant une autre spécificité des collections Arpenteur : la teinture au pastel. Une manière très intéressante d’arriver ici à un bleu qui rappelle le vêtement de travail, mais qui se patinera bien plus subtilement qu’une teinture classique.
Focus sur l’outerwear
Arpenteur c’est aussi et surtout une impressionnante collection de vêtements « dernière couche » pensés pour affronter l’hiver. Là où les traditionnels manteaux et parkas en laine rencontrent des interprétations plus techniques plus à même de protéger des intempéries selon les besoins de chacun. Voici en images trois pièces qui valent le détour.
Manteau long Utile
En commençant par le pilier du vestiaire hivernal de la marque (et printanier dans des déclinaisons en coton et tissus imperméables), le manteau « Utile ». Une pièce récurrente améliorée années après années.
Entièrement doublé et s’inspirant du drap de laine classique, il hérite également des codes du manteau de marin avec sa solide laine cardée résistante au vent et à la pluie. Ample et long, il se porte aussi bien oversize que dans un style plus ajusté.
Doudoune Loft Vest
Basées sur le design de la deck jacket, les doudounes ou puffer jackets « Loft J » et « Loft V » en nylon et Primaloft sont particulièrement recommandables en cas de froid sec.
Mention spéciale pour la déclinaison dans un « vieux rose » poudré qui vient immédiatement contredire tous ceux qui voient chez Arpenteur une collection en bleu marine. La version sans manches « Loft Vest » est particulièrement cool à la mi-saison, ou en pièce de layering.
Polaire Contour
Enfin, la très réussie polaire « Contour » clôt le bal avec sa composition qui ne donne vraiment pas envie de retourner au polyester. Laine, mohair et nylon. Une énième pièce visuellement très simple qui apporte pourtant beaucoup à ta tenue. Si Boras a opté pour du noir, je ne peux m’empêcher de mentionner la « gris cuivre » que je trouve particulièrement bien sentie.
Le mot de la fin
J’aurais voulu te parler encore de plein de chose, mais nous devons nous arrêter là faute de pouvoir braquer tout le stock d’Arpenteur (sans parler de certains prototypes vus à l’atelier…). J’espère malgré tout que nous avons réussi à te transmettre notre amour pour la marque française avec cette « rétrospective » sur la collection hiver 2022. Et peut-être t’avoir donné l’envie d’essayer une pièce dès maintenant ? Car si cet article est sorti un peu tard dans la saison, il arrive quand même à point nommé pour les soldes. Alors n’hésite pas à faire un tour sur le site d’Arpenteur.