Le « projet Borasification » est d’abord celui d’une curation. La précaire tentative d’agréger « le meilleur de la mode masculine » (traduction moins pompeuse et plus réaliste : tout ce que l’on peut trouver de cool au quotidien, très subjectivement) dans un seul et même endroit. C’est ce qui a motivé la création d’un format comme la Revue de Mode. La volonté de donner, à notre échelle, un peu de lumière à des petites et moyennes marques. Des projets dont personne ne parle. Ou pas assez à notre goût.
Le média a grandement évolué en ce sens depuis mon arrivée, l’année dernière. Au-delà des sélections, qui sont autant d’excuses pour raconter des histoires et explorer des possibles stylistiques, les contenus de fond se sont multipliés. La rubrique Culture Sape compte parmi ses pages des articles dont nous sommes très fiers. Je pense notamment aux dossiers sur les labels et designers qui alimentent indirectement le blog depuis ses débuts. Hiroki Nakamura, Daiki Suzuki. Et plus récemment Teddy Santis.
Produire régulièrement du contenu de qualité à deux n’est cependant pas toujours évident, surtout quand il y a mille choses à faire au quotidien. S’il est impossible de couvrir tout ce qui nous intéresse le plus, imagine le reste. La moindre des choses est donc d’ouvrir à d’autres horizons. De pointer vers ce qui se dit et se montre de très bien chez ceux d’à coté. Il est naturel pour nous de vendre un jean Borali en portant du Document, du Supreme ou du Evan Kinori. Alors pourquoi ne pas faire la promotion de médias « complémentaires » en parallèle ? Multiplier les influences, comme les sources, est notre façon de faire les choses.
Le meilleur du contenu mode homme sur internet : les bonnes adresses sont anglophones
Taper « meilleur blog mode homme » sur Google n’est une solution efficace pour espérer trouver son bonheur, sans grande surprise. Les listes assemblées à la va-vite, ou via un site qui mesure approximativement l’audience, par les sites français se suivent et se ressemblent, à quelques exceptions près (je pense à celle de VeryGoodLord). Et il semblerait qu’il s’agisse plus de garantir un bon référencement SEO que de véritablement promouvoir des contenus intéressants et / ou « indépendants ». Ou même de la mode tout court, cette thématique souvent perdue entre les articles idées cadeaux sponsorisés et le développement personnel option coach de coach.
Si je n’ai pas eu la chance de connaitre Abhras avant que les lumières ne soient éteintes, le blog menswear minimaliste aux articles longs et informatifs autrefois géré par Julien Nicaise-Besanger et Démian Peeters, le consensus est que sa mise hors-ligne a laissé un vide dans le paysage francophone. Que nous essayons de combler, à notre manière. Un esprit que l’on retrouve également, à la sauce soft-tailoring et via des contenus légers, chez les LesIndispensables. La courte liste qui va suivre ne te semblera donc pas très accueillante si tu as eu la mauvaise idée de sécher les cours d’anglais. Mais l’idée était vraiment de te partager les adresses qui restent dans mes favoris et qui sont consultées toute l’année. Et non pas de faire copain-copain et d’envoyer des backlinks à des gens qui ont seulement pour mérite de parler français.
eye_C mag : de l’eyecandy et des news
Je sais que c’est un nom qui revient souvent (peut-être un peu trop), mais permet moi d’en rajouter une couche. eye_C magazine est pour moi la référence si tu aimes les esthéthiques gorp / street / heritage . Ça fait beaucoup de mots-clés, mais un tour sur le compte insta du magazine bi-annuel fondé en 2019 par Martin Hoye à Tokyo devrait éclaircir les choses. Le propos esthétique poussé, avec une prédominance de heavy duty ivy et d’outerwear technique quand il ne s’agit pas de japanese americana, est singulier et immédiatement reconnaissable. Le travail d’édito, avec des photographes qui s’occupent de la DA des marques mises en avant par le magazine, garanti une ligne de fond cohérente. Enfin, c’est un endroit que je fréquente quotidiennement pour la partie news. La sélection est pointue et uniquement centrée sur les fringues. On est très loin d’un Hypebeast ou d’un GQ.
Highsnobiety et Grailed « Dry Clean Only »
Pour rester dans le thème de la news, le site français Guillotine (ou Glltn) à tout du relai rudimentaire. Les informations se limitent à du copier / coller rapide. D’une à deux phrases génériques. Et c’est pourtant suffisant, paradoxalement. Assez pour éveiller ta curiosité et te faire découvrir des marques émergentes, le plus souvent japonaises. Je peux aussi te recommander Highsnobiety. Relativement. Tu ne pourras pas échapper à des articles people et autres contenus discutables. Ça reste cool si tu fais le tri.
Ce sont néanmoins les articles de fond qui m’intéressent davantage sur le site. Car ils sont souvent écrits en collaboration avec des personnes extérieures qui ne sont pas payées au lance-pierre pour commenter une photo volée de Timothée Chalamet. Eugene Rabkin, un nom que l’on va retrouver dans quelques instants, a par exemple écrit en juillet dernier un très bon article à propos de l’influence des designers belges sur la mode. Suivre les pages des auteurs pertinents est donc un bon moyen de filtrer le contenu de qualité !
Enfin, il y a Grailed. Une plateforme d’achat / revente qui est une bonne alternative de niche à Vinted quand le dollar n’est pas trop fort. Mais pas seulement. « Dry Clean Only », le pendant « média » du site, regorge d’articles parfois très fournis et bien documentés.
StyleZeitgeist pour (bien) mieux suivre la Fashion week
Suivre les Fashion Weeks n’a rien de difficile. Se rendre sur Vogue à la page dédiée au sujet est amplement suffisant. Ou même installer directement l’application « Runway » sur son téléphone, pour les plus acharnés. Les photos impeccables des défilés sont toujours commentées et contextualisées. Un site essentiel si tu veux commencer à t’intéresser plus sérieusement au sujet. Maintenant, peut-être que tu es davantage à la recherche d’une sélection ciblée et d’opinions fortes. Dans ce cas, StyleZeitgeist est la deuxième adresse à connaitre. Un forum (2006) puis un magazine (2011) lancés par Eugene Rabkin, l’auteur prolifique cité précédemment. J’aime particulièrement son point de vue critique assumé, chose malheureusement assez rare dans le milieu. Articles de fond, récapitulatif des Fashion Week (dernier en date à lire ici), interviews, podcasts… Une mine d’informations pour les amateurs d’avant-garde (Rick Owens, Ann Demeulemeester, Peter Do…). Et de mode tout court.
BlackBirdSpyplane, l’ovni dans le ciel du menswear
Découvert via un excellent article sur les conséquences du business model de SSense (dont je te recommande fortement la lecture), le géant du e-commerce qui s’accapare gros labels de luxe comme petites de marques de niche, BlackBirdSpyplane n’a vraiment rien du média conventionnel. Il faut parfois se faire violence et accepter le parti pris esthétique (et langagier) volontairement « Gen Z » de Jonah Weiner et Erin Wylie. Les montages un peu foireux et les couleurs discordantes n’enlevant rien à la qualité des articles. Notamment les interviews de personnes qui se font habituellement plutôt discrètes. Evan Kinori récemment pour sa nouvelle collection hivernale. Emily Bode (de la marque BODE, si le rapprochement n’était pas assez clair). Mais aussi des acteurs et artistes de la scène alternative. Tyler, The Creator, James Blake, Daniel Lopatin (plus connu sous son pseudonyme Oneothrix Point Never)…
Bref, tous ces noms sont déjà assez de bonnes raisons pour fréquenter ce recoin un peu étrange de la mode masculine. Les articles, si tu supportes le jargon et le ton, en sont d’autres.
Vestoj, voir au-delà du vêtement comme objet de consommation
Le problème avec le contenu fringue est que l’on a tendance à tourner en rond. Oui, on peut changer les paramètres de la discussion. Traiter de marques inconnues plutôt que des géants du milieu. Exprimer un point de vue. Différent, si possible. Mais tout cela se fait à la marge. L’écrasante majorité du contenu est d’ordre promotionnel, peu importe la forme adoptée. La mode se vit par le prisme de la consommation. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, mais je n’aime personnellement pas me dire que tout ce que je peux lire et voir n’est qu’un prétexte à un futur achat. Il faut aussi pouvoir s’extraire de cette logique. D’apprécier les choses sans forcément les posséder, prendre de la distance sur son propre comportement. Et c’est justement ce que propose Vestoj, le magazine qui m’a tout simplement donné envie d’écrire cet article en premier lieu. La question du vêtement amène ici à la considération de notre rapport à l’habillement, de la mode à l’identité. Peut-être le contenu le plus exigeant et qualitatif s’intéressant à la mode et disponible gratuitement en ligne aujourd’hui. Et probablement le seul à inscrire dans son manifeste « Advertising is forbidden ».
L’approche académique, mais accessible et ancrée dans les réalités du milieu, rend la lecture vraiment passionnante. Si tu comprends bien l’anglais je te conseille de commencer par la rubrique « Opinion ». Et si tu veux une reco article, j’ai beaucoup aimé celui sur la critique des Capsules wardrobes.
Et bien d’autres encore…
Cette liste n’est évidement pas exhaustive. Et n’a pas vocation à l’être un jour. Je voudrais quand même conclure en citant dans un même paragraphe des gens qui ont déjà eu le privilège de figurer dans différents numéros de la Revue de mode. En commençant par Derek Guy, du blog Die! Workwear qui s’est reconverti sur Twitter (ou X, comme tu veux) pour distribuer un peu de savoir (et de punchlines) sur le réseau social. Si c’est malheureusement désagréable à lire, surtout quand on à l’habitude des phrases à rallonge, le site Thread Reader permet de condenser tout ça et de rendre l’expérience un peu meilleure. Chauvinisme oblige, j’aimerais également glisser un petit mot pour Stiff Collar. Le blog du tailleur Julien Scavini est particulièrement recommandé si tu t’intéresses au sartorialisme et aux aspects plus techniques du vêtement. Coté YouTube, je ne peux que te recommander la chaine de Bliss Foster si tu apprécies les marques qui défilent et les analyses à la StyleZeitgeist. Frugal Aesthethic pour du contenu plus léger, en apparence seulement. Et en France à nouveau, RapidsCrew pour les amateurs de streetwear.
Voilà globalement ce que je peux lire, consulter et regarder au quotidien. Je pense que c’est un bon point de départ pour approfondir, réfléchir, se divertir sans forcément passer à la caisse. N’hésite pas à laisser en commentaire d’autres sites qui pourraient intéresser la communauté. Quant aux magazines papiers, c’est encore un autre sujet que je garde en tête pour plus tard…
