Parler couleurs, rien de plus basique non ? C’est pourtant une thématique que nous n’abordons qu’occasionnellement de manière frontale. Certes, il est régulièrement question de motifs, de teintes ou d’associations de nuances. De couleurs qui sont plus adaptées à une saison qu’à une autre. Et parfois de conseils sur des pièces particulières comme le pantalon blanc. Mais les articles qui traitent directement des couleurs en tant que telles se font rares ! Et pour cause, c’est peut-être l’un des seuls domaines où le feeling (ou le goût pour le dire d’une autre façon) reste roi. Où expliquer ce qui fonctionne est bien plus facile a posteriori que de prédire ce qui fonctionnera en se basant sur des théories faussement rassurantes. Bref, un vrai terrain miné quand on veut faire du conseil qui ne ressemble pas à un courts d’arts plastiques impossible à appliquer dans la vraie vie.
Alors pour continuer à tranquillement déblayer le sujet après deux épisodes sur le noir et le rose dans le vestiaire masculin, on a choisi de parler des couleurs dites « terre ». Et plutôt que de méditer sur la roue des couleurs, on va essayer de se poser les bonnes questions ! L’objectif premier étant de te donner de l’inspiration et surtout l’envie de tenter des nouvelles choses, je te promets de ne pas trop m’appesantir sur la théorie et rapidement passer aux conseils pratiques.
Les couleurs « terre », c’est quoi ?
Comme on ne change pas une méthode maintes fois éprouvée, mettons nous d’accord en premier lieu sur ce que sont vraiment les couleurs « terre ». Cela peut paraitre évident pour toi (après tout, c’est dans le nom), mais l’utilisation du terme est assez libérale !
S’accorder sur une palette
Académiquement, le terme désigne les couleurs qui nous viennent littéralement du sol. Des pigments organiques obtenus par la transformation de roches, séchées ou calcinées avant d’être réduites en poudre. C’est donc une famille de couleurs naturelles, un groupe bien identifié, qui se définit en peinture par la présence commune de marron dans la teinte.
Mais l’utilisation du terme de couleurs « terre » ne s’arrête pas aux ocres dans le monde du design. Les gris-bleu des minéraux, ainsi que le vert mousse des forêts s’invitent sur la palette (il existe également un pigment naturel « terre verte »). Certains utilisent même ce terme pour parler de toutes les « couleurs de la nature », du ciel jusqu’aux fleurs. Alors pour faire simple et ne pas s’éparpiller davantage, je te propose ma propre palette.
Caractéristiques et symbolisme
Comme tu peux le remarquer, ces couleurs ont quelques caractéristiques en commun. La pointe de marron pour les couleurs « terre », mais également une pointe de gris pour celles qui sortent du cadre. C’est pour cela qu’on parle parfois de near neutrals pour les couleurs « terre », proches des « vraies » couleurs neutres que sont le blanc, le noir et toutes les nuances de gris. On obtient ainsi une palette désaturée, ou muted, de couleurs chaudes et froides qui cohabitent harmonieusement.
D’un point de vue symbolique, associer ces teintes dans une tenue donne une impression de « naturel », de « discrétion ». En opposition avec les couleurs sursaturées qui ont tendance à agresser la rétine, perçues comme ludiques (playful) et audacieuses (daring). Toutes les marques jouent consciemment avec ces codes. Dans le monde du luxe par exemple, la différence entre le streetwear tape à l’oeil d’un Balenciaga et le raffinement d’un Lemaire en 2022 passe déjà par le langage des couleurs.
Du mouvement hippie aux tendances passagères d’aujourd’hui
S’il peut être assez déroutant de parler de « mode » quand on qualifie des couleurs qui existent depuis la nuit des temps, le choix des teintes dans le processus de création ou de stylisme dit toujours quelque chose de nous. Et si les couleurs « terre » sont une vraie tendance de fond qui touche aussi bien le design que la décoration, tout ça n’a rien de nouveau ! Il suffit de regarder quelques catalogues américains des années 70 pour s’en convaincre. Marrons et beiges ont remplacé du jour au lendemain les couleurs très (trop) vives des années 60 à une époque incertaine marquée par la guerre et le conflit intergénérationnel.
N’observe-t-on pas le même phénomène aujourd’hui avec les microtrends que sont le cottagecore ou le farmcore par exemple ? Nos intérieurs comme nos tenues, et donc in fine nos goûts, se font et se défont au sein de contextes culturels et économiques précis. Ce revival des couleurs des années 70 fait écho à notre époque où les enjeux climatiques n’ont jamais été aussi centraux. Et cela se répercute dans nombre de petites choses qui passent inaperçues et qui pourtant en appellent à notre inconscient. Comme les logos, chartes graphiques et packaging des marques qui se veulent « écoresponsables » par exemple…
Pourquoi porter les couleurs « terre » ?
L’article vient de prendre une tournure un peu abstraite, mais ne t’inquiète pas trop pour la suite. Avec les bases techniques et idéologiques posées, on on peut maintenant aborder sereinement la partie pratique et s’amuser un peu. Et quoi de mieux que d’avoir l’air de sortir tout droit d’un lookbook automne hiver, finalement ?
S’essayer facilement à la couleur
Tu l’as surement compris à la première photo d’illustration de cet article, mais les couleurs « terre » sont parmi les plus faciles à accorder dans un vestiaire classique. Tout vient de la désaturation qui adoucit les tons, égalise les contrastes et uniformise. Si tu as déjà chez toi des fringues blanches, noires ou vert olive, alors il n’y a rien plus facile que d’ajouter du marron, du terracota ou du brun au mix.
Et je me répète, mais les couleurs « terre » fonctionnent évidemment très bien entre elles ! Donc plus d’excuse pour ne pas s’essayer à autre chose que le combo pantalon bleu marine et pull gris.
Ancrer un style « authentique »
Si ton style gravite autour du monde du workwear, de l’outdoor ou encore du japanese americana à la Visvim, je ne pense pas avoir besoin de te convaincre des vertus que possèdent les couleurs « terre » ! On en revient aux symboles. Un style rugged qui privilégie les matières avec du caractère, les teintures naturelles, les imperfections de l’artisanat et les textures recherchées bénéficiera forcément d’une palette de couleurs la plus authentique possible.
Et cela tombe bien car les plus belles marques masculines qui jouent sur ce créneau ont naturellement tendance à se diriger vers ces teintes. Sage de Cret, 45rpm ou Norbit pour ne citer que celles qui me viennent en tête.
Lisibilité, harmonie et expérimentations
Une fois que tu commences à introduire des couleurs « terre » dans ton vestiaire et à les porter au quotidien, c’est le moment de comprendre ce qui va au-delà du simple concept de polyvalence. Je pense, par exemple, qu’il y a beaucoup à gagner en considérant ces tons « presque neutres » comme une base solide sur laquelle tu peux t’appuyer pour expérimenter plus facilement.
Car s’habiller avec des couleurs naturelles harmonieuses, c’est déjà garantir une certaine « lisibilité » pour sa tenue. C’est aussi ne plus avoir à se poser de question sur toute la dimension la plus immédiatement visible d’un ensemble. Ainsi, intégrer des volumes plus « inhabituels » devient toute de suite beaucoup plus facile. Ou même seulement porter une pièce qui sort de l’ordinaire !
Quelques conseils pour aller plus loin
Voilà pour la base, mais je pense qu’on ne peut pas terminer cet article sans aborder un instant les mauvais cotés des couleurs « terre », ou plutôt les écueils à éviter. Alors voici quelques rapides conseils (et photos) supplémentaires !
Couleurs « terre » et carnation
On commence par un thème qui revient sans cesse quand aborde ce sujet : certaines teintes n’iraient pas à certains personnes en fonction de leur couleur de peau. Tu as du déjà croiser les fameux tutoriels qui t’aident à trouver ton teint, le sous-ton chaud ou froid, ou encore le quizz « quelle saison êtes-vous » qui n’arrange vraiment rien. Alors qu’on mette les choses au clair, les couleurs « terre » sont pour tout le monde !
Toutes les théories ne peuvent ici remplacer une connaissance par la pratique. Il ne faut pas oublier qu’une couleur n’est jamais séparée de son contexte, c’est à dire de l’éclairage ou encore de la manière dont la matière prend la lumière… De même, l’œil humain à tendance à dissocier la carnation de la couleur des vêtements. Alors si tu as un doute n’hésite pas à essayer quand même ! Quand ça ne fonctionne pas, c’est au cas par cas et pas une règle générale un peu absurde qu’il faudrait absolument suivre.
Déjouer les connotations
Je t’ai parlé uniquement des avantages jusqu’à maintenant, mais les connotations « négatives » qui entourent les couleurs « terre » sont légion ! Si je te dis « pull fair Isle » et « pantalon en velours côtelé », tu pourrais me répondre « professeur d’histoire en fin de carrière » par exemple. Dans nombre des cas, le problème n’est pas vraiment la palette de couleur en elle-même. Mais c’est plutôt l’accumulation des connotations sur une même pièce ou au sein d’une même tenue qui va apporter quelque chose de suranné ou de non voulu (l’effet tenue de chasse).
Je pense qu’il est judicieux d’utiliser les couleurs terre sur des pièces inattendues, par exemple sur une chemise minimaliste ample ou un pantalon à pinces dans une belle matière un peu « lisse » (on évite le tweed…). Si tu assumes le coté « vieillot » alors il faut jouer avec les coupes et penser à dynamiser l’ensemble ! Ne pas faire de stacking avec son pantalon en velours marron sur des chaussures typées campagne comme des Paraboot par exemple.
Trop d’harmonie ?
Un dernier conseil qui fait écho au point vu juste au-dessus. C’est quelque chose de plus personnel et discutable, alors je te laisserai te faire ton propre avis sur la question. Mais je pense qu’il est possible d’en faire « trop », ou « pas assez », avec les couleurs « terre ». Qu’un excès de neutralité peut amener à une certaine forme de platitude.
En définitive, cela renvoie à deux manières de s’habiller : par harmonie ou par contrastes. Certains préfèrent quand les pièces se fondent entre elles, d’autres font dans le colorblocking. Dans tous les cas, n’oublie pas que tu n’es clairement pas « obligé » de t’habiller en cosplay forêt automnale quand tu commences à acheter des fringues tons « terre ». On l’a vu tout à l’heure, mais tu peux très bien casser un peu l’harmonie en te servant de ces couleurs comme une base à des couleurs plus flashy !
Galerie / Moodboard : quelques tenues qui intégrent les couleurs « terre »
Média de mode oblige, je ne peux pas trop disserter sur un sujet sans te donner une contrepartie visuelle ! Voici quelques tenues trouvées ici ou là qui exploitent bien les avantages de ces tons naturels. Comme toujours, je fais en sorte de te montrer une grande diversité de styles.
Le mot de la fin : quelles marques pour s’essayer aux couleurs « terre » ?
Pour conclure, voici quelques références si tu veux intégrer des couleurs « terre » dans ton vestiaire. Les photos d’illustration t’ont déjà donné des pistes, mais une petit synthèse ne peut pas faire de mal. Pas de classement particulier, et tous les styles !
- Uniqlo (surtout la ligne U) et particulièrement Muji font des fringues aux couleurs « terre » très accessibles. Si tu as un peu plus de budget, rends toi chez Olive Clothing ou Jungmaven.
- En milieu de gamme tu peux regarder du coté de De Bonne Facture, LaneFortyFive, Engineered Garments et *A Vontade
- En haut de gamme, je pense à Lemaire, Evan Kinori, 18 East, Story MFG, Stoffa, et évidemment Visvim
J’espère que cet article un peu différent t’a plu. N’hésite pas à nous laisser ton retour en commentaire, ça fait toujours plaisir !